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LA FOUX-AUX-ROSES

— Sans doute, puisqu’il n’y a pas d’autre enfant chez nous ! Oh ! j’aimerais mieux avoir des frères et des sœurs, allez, mais puisque je n’en ai pas…

— À votre place, dit Nadine, je jouerais souvent avec Marthe Brial. »

Irène soupira :

« Moi, je ne demanderais pas mieux ; je suis sûre que je l’aimerais tout de suite, ma cousine Marthe et ses frères aussi… seulement, c’est impossible, la Foux-aux-Roses m’en empêche… tenez, la voilà justement ! »

Les trois enfants étaient en effet arrivés au bord de la petite rivière dont les eaux couraient impétueuses sur leur lit de pierres moussues.

« Elle est jolie — n’est-ce pas ? — et elle chante bien », reprit naïvement Irène.

Sa compagne se mit à rire.

« On dirait que vous parlez d’une personne, et puis, quelle drôle d’idée de croire qu’une rivière vous empêche d’aimer vos cousins !

— Oh ! reprit la fillette, les yeux toujours fixés sur la Foux, pour bien comprendre cela, il faut connaître l’histoire de la famille qui est trop longue à raconter. Ce n’est pas précisément la rivière qui nous sépare de nos parents ; c’est plutôt parce que le père de M. Brial et celui de tante Dorothée disaient tous les deux qu’elle coule dans leur propriété ; ils se sont brouillés à mort, et il faut que nous restions fâchés tant que la Foux coulera ; c’est ma tante qui l’affirme.

— Je crois que Norbert et Jacques ne demandent pas mieux, répliqua peu charitablement Philippe ; ils ne vous aiment guère et se passent bien de vous. »

Les yeux d’Irène étincelèrent :

« Ce n’est pas non plus parce que j’ai besoin d’eux que je serais contente si toute la famille se réconciliait ; pour m’aimer, j’ai tante Dorothée ; pour m’amuser, j’ai les chers petits oiseaux et ma chatte Caprice.

— Jolie société ! riposta le jeune garçon d’un air moqueur. Je vous conseille de ne jamais laisser la fameuse Caprice en tête-à-tête avec vos autres amis, elle en ferait une fricassée. »

La fillette haussa les épaules :

« Vous parlez sans savoir, dit-elle d’une voix brève ; Caprice ne quitte pas la bastide et mes oiseaux sont dans les arbres. »

Comme les gens faibles et vaniteux, Philippe aimait à avoir le dernier mot, même si ce mot était une sottise ; il reprit d’un ton railleur :