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LA GRANDE FORÊT multiples, foulées d’herbe au pied des arbres, débris de branches résineuses consumées à demi, tas de cendres où pétillaient quelques étincelles, ronces dont les plus sèches déga­ geaient encore quelque fumée. D’ailleurs pas un être humain sous bois, ni sur des branches, entre lesquelles, cinq ou six heures aupara­ vant, s’agitaient ces flammes mouvantes qui illuminaient l’horizon. « Partis... dit Max Huber. — Ou du moins éloignés, répondit Khamis, et il ne me semble pas que nous ayons à craindre... — Si les indigènes se sont éloignés, fit observer John Cort, les éléphants n’ont pas pris exemple sur eux !... » Et, de fait, les monstrueux pachydermes rôdaient toujours aux bords de la forêt. Plu­ sieurs essayaient même de forcer la barrière des arbres, ou de les abattre par de vigou­ reuses poussées. Quant au bouquet de tama­ rins, Khamis et ses compagnons purent con­ stater qu’il était abattu, et le tertre, dé­ pouillé de son ombrage, ne formait plus qu’une légère tumescence à la surface de la plaine. Sur le conseil du foreloper, Max Huber et John Cort évitèrent de se montrer, dans l’espoir que les éléphants quitteraient la place. « Cela nous permettrait de retourner au campement, dit Max Iluber, et de recueillir ce qui reste du matériel... peut-être quelques caisses de conserves, des munitions... — Et aussi, ajouta John Cort, de donner une sépulture convenable à ce malheureux Urdax... — Il n’y faut pas songer tant que les élé­ phants seront sur la lisière, répondit Khamis. Au surplus, pour ce qui est du matériel, il doit être réduit à des débris informes ! » Le foreloper avait raison, et, comme les éléphants ne manifestaient point l’intention de se retirer, il n’y eut qu’à regagner l’endroit où le foyer brûlait encore, puis à décider ce qu’il convenait de faire. Khamis, John Cort, Max Huber et Llanga revinrent donc sur leurs pas.

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En chemin, Max Huber fut assez heureux pour abattre une belle pièce, qui devait as­ surer la nourriture pour deux ou trois jours. C’était un inyala, sorte d’antilope à pelage gris mélangé de poils bruns, animal de grande taille, celui-ci un mâle armé de cornes spiralifères, dont une fourrure épaisse garnissait la poitrine et la partie inférieure du corps. La balle l’avait tué raide, à l’instant où sa tète se glissait entre les broussailles. Cet inyala devait peser de deux cent cin­ quante à trois cents livres. En le voyant tomber, Llanga avait couru vers lui, comme un jeune chien. Mais, on l’imagine, il n’aurait pu rap­ porter un tel gibier, et il y eut lieu de lui venir en aide. Le foreloper, qui avait l’habitude de ces opérations, dépeça la bête avec un couteau, en découpa les morceaux utilisables, lesquels furent rapportés au foyer. John Cort y jeta une brassée de bois mort, qui pétilla en quelques minutes, et, dès que le lit de charbons ardents fut formé, Khamis y déposa plusieurs tranches d’une chair appétissante. Des conserves, des biscuits, dont la cara­ vane possédait nombre de caisses, il ne pou­ vait plus être question, et, sans doute, les porteurs les avaient enlevés pour la plupart. Très heureusement, dans les giboyeuses forêts de l’Afrique centrale, un chasseur est toujours sûr de se suffire, s’il sait se contenter de viandes rôties ou grillées. Il est vrai, ce qui importe, c’est que les mu­ nitions ne fassent pas défaut. Or, si John Cort, Max Iluber, Khamis étaient munis cha­ cun d’une carabine de précision et d’un re­ volver, si ces armes adroitement maniées, devaient leur rendre service, encore fallait-il que les cartouchières fussent convenablement remplies.Or, tout compte fait, et bien qu’avant de quitter le chariot ils eussent bourré leurs poches, ils n’avaient plus qu’une cinquantaine de coups à tirer. Mince approvisionnement, on l’avouera, surtout s’ils étaient obligés de se défendre contre les fauves ou les indigènes, pendant six cents kilomètres jusqu’à la rive gauche de l’Oubanghi. A partir de ce point, Khamis et ses compagnons devaient pouvoir