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COLETTE EN RHODESIA

perfectionnement qui supprimera ces vapeurs ou du moins les rendra inoffensives.

— Ce qui est un vice rédhibitoire dans les galeries de mines pourrait devenir une force dans les armes de guerre, remarqua lord Fairfield.

— Oh ! nous ne l’ignorons pas et je puis même dire que l’expérience est faite, reprit M. Weber avec un petit rire discret… Voyez-vous ce canon de bois ? ajouta-t-il en décoiffant de son capuchon ciré une sorte de bombarde étrange, creusée dans un tronc d’arbre et renforcée d’anneaux d’acier, qui pivotait sur un trépied à la manière d’une lunette astronomique… Je l’ai fait en bois, parce qu’il aurait été trop compliqué de le couler en bronze et surtout de le manier ; mais c’est tout ce qu’il fallait pour nos essais… Et de même, j’ai fabriqué mes obus en bois, parce qu’il s’agissait moins de vérifier les effets balistiques de l’explosif que de noter ses effets physiologiques, faciles à prévoir d’après la nature même de la composition… Eh bien, avec cette arme primitive, à trois cents mètres de distance, un obus tel que celui-ci a tué net, par asphyxie foudroyante ou, pour parler plus exactement, par empoisonnement pulmonaire instantané, deux innocents moutons qui nous servaient de cible !…

— Vraiment ? » s’écria lord Fairfield en considérant avec respect le petit obus que lui présentait M. Weber, une sorte de boîte conique, de bois poli, munie à sa base d’un obturateur vissé et qui ressemblait à ces étuis de buis dont on renforce, en voyage, les flacons de parfumerie.

« … Vraiment ?… Mais, dans ce cas, vous avez là un explosif de la plus haute valeur militaire et navale, s’il est possible d’en charger un obus ordinaire !… N’importe quelle puissance européenne… ou africaine… vous l’achèterait à tout prix !…

— Certes, nous le savons !… Mais cela nous répugne, parce que la guerre en deviendrait plus atroce encore, et parce que notre objectif est purement minier.

— Ce sont là des scrupules puérils, laissez-moi vous le dire. Tout ce qui rend les armes plus meurtrières ou plus terrifiantes abrège en réalité la guerre et tend à la supprimer… Un autre inventeur trouvera votre secret ou un secret analogue. Gardez-en du moins le bénéfice !… Sans aller plus loin, si vous voulez que j’offre votre poudre à Cecil Rhodes…

— C’est le dernier à qui je la céderais, si j’en avais le droit !… Mais elle n’est pas ma propriété, étant celle de Henri Massey, qui partage, d’ailleurs, entièrement mes répugnances.

— Peut-être la réserve-t-il au gouvernement de Prétoria ?

— J’en serais surpris, pour les raisons que je vous ai dites et aussi pour cet amour-propre de l’inventeur qui s’attache à perfectionner son œuvre, tant qu’il n’en est pas entièrement satisfait… Ce que Henri Massey et moi avons voulu et cherché, c’est une nouvelle poudre de mine et non pas un nouvel engin de destruction… Nous poursuivrons notre œuvre jusqu’au bout !…

— Tant pis, tant pis pour vous et aussi pour l’humanité ! Il suffirait peut-être, pour empêcher deux races d’en venir aux mains, que l’une eût sur l’autre la supériorité d’un explosif irrésistible. Si le vôtre a la puissance que vous dites, une simple expérience publique empêcherait, sans doute, cent batailles meurtrières et briserait dans l’œuf toutes les résistances…

— Vous parlez ainsi, parce que vous vous flattez d’être la nation qui s’assurerait la supériorité que vous dites, étant celle qui peut la mieux payer. Si bien que, en dernière analyse, la victoire irait non pas à la cause la plus juste, mais à l’acheteur le plus renté… Hélas ! c’est trop souvent l’histoire des choses humaines pour que nous puissions songer à rectifier une loi si cruelle… Plus volontiers, à coup sûr, s’il fallait absolument prendre parti, nous serions les redresseurs d’une inégalité choquante, en intervertissant subitement les rôles et du faible faisant le fort.

— Je vous entends et je n’insiste pas… Laissez-moi seulement admirer. »

En sa qualité d’ex-officier de l’armée britannique et de sportsman passionné, lord