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MONOGRAPHIES VÉGÉTALES

chute par la séduction se retrouve chez tous les peuples. Le « fruit défendu » est de tradition universelle.

Au surplus, que l’on ne s’y trompe point, cette légende universellement admise est bien autrement profonde qu’on ne se l’imagine communément. Ce n’est plus d’un arbre portant des fruits plus ou moins désirables qu’il s’agit, mais d’une sorte de talisman qui donne l’immortalité. C’est dans l’arbre du bien et du mal de la Genèse que nous retrouvons l’arbre de la science, c’est-à-dire l’arbre de vie, poétique et profond symbole qui dépasse de bien loin la puérile et sensuelle tentation de manger un fruit plus ou moins doux et succulent.

Vous le voyez, notre pomme sort blanche et pure de toute incrimination. Déclarons-la donc à tout jamais innocente et, malgré les légendes mythologiques, malgré les bizarreries du langage médical qui appelle « pomme d’Adam », à titre de stigmate infamant, cette grosseur que forme au cou de l’homme la paroi saillante de l’un des cartilages du larynx, malgré les déclamations d’une science encore enfantine, n’en déplaise au grand Hippocrate, déclarons que la pomme est un des plus beaux et meilleurs fruits qui existent, si bien qu’elle est devenue comme l’équivalent symbolique du prix que mérite ici-bas toute belle créature ou toute belle chose. Vous vous souvenez de cette jolie strophe des Orientales :


Soit lointaine, soit voisine,
Espagnole ou Sarrasine,
Il n’est pas une cité
Qui dispute, sans folie,
À Grenade la jolie
La pomme de la beauté.


Ce qu’il y a de certain, c’est que la pomme, aux lignes si pures et aux couleurs si charmantes, est devenue comme une figure mystique de perfection, c’est-à-dire la représentation de quelque chose de complet et de parachevé. Outre une foule de fruits qu’on appelle de ce nom — pomme d’amour (tomate), pomme d’Arménie (abricot), pomme de Jéricho (morelle), pomme d’or (orange), pomme de terre, etc. — il est des plantes dont le mot pomme, changé en qualificatif, exprime le parfait développement. Une belle et ferme tête de chou, une laitue compacte et dure sont dites pommées… pommée également est dite une sottise, alors qu’elle est réussie au point de ne plus rien laisser à désirer.

Qui dit pomme, dit pommier ou peu s’en faut, puisque de l’une à l’autre il n’y a comme distance que la longueur d’une queue fort courte ; arrivons donc à celui-ci, sans autre transition.

Le pommier, disons-le tout de suite, n’est pas un arbre élégant. Certes, il est admirable au printemps, alors que les « tièdes haleines », collaborant avec les rayons du soleil, l’ont transformé en un énorme bouquet, mais alors l’arbre a disparu sous le buisson fleuri et il faut attendre, pour le juger impartialement, qu’il ait repris sa modeste livrée de travail. C’est que le pommier n’est autre chose, en effet, qu’un simple travailleur, moins encore, qu’un arbre « domestiqué ». Il a perdu, au service de l’homme, sa physionomie et ses allures indépendantes.

Le pommier domestique — sauf exception — n’a ni ces allures originales, ni ces lignes hardies qui rendent remarquable le profil de tant d’autres végétaux. La silhouette du pommier manque d’imprévu. Généralement incliné par les grands vents d’ouest, il penche d’une façon disgracieuse, coude ses branches à tort et à travers et se couronne d’une grosse tête ronde qui, de loin, rappelle l’ombrelle du champignon. C’est un travailleur, nous l’avons dit, et non point un artiste. Il est trapu et fait le gros dos comme les ouvriers des champs, ses confrères, qu’un labeur excessif a courbés avant l’âge. Ajoutons à cela que cet honnête fabricant de pommes a le défaut de ses qualités, qu’il est trop souple, trop docile et qu’il a eu, dès l’origine, le tort de se prêter sans protestation aux fantaisies les plus grotesques. Qui n’a vu de ces misérables pommiers nains, étalés en espaliers, crucifiés contre un mur ou ficelés à des échalas qui ridiculement les transforment en quenouille, en verre à boire, en queue de paon ou en