Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/37

Cette page n’est pas destinée à être corrigée.

36

JULES VERNE

Cependant il dut faire encore une cinquan­ taine de mètres, à la suite de Max Huber, que Llanga n’avait pas voulu quitter... Et, peut-être, tous les trois se fussent-ils portés jusqu’à la lisière, lorsque Khamis s’arrêta définitivement. « Pas un pas de plus ! » dit-il à voix basse. Était-ce donc devant un danger imminent que le foreloper et son compagnon suspendi­ rent leur marche ?... Avaient-ils entrevu un groupe d’indigènes ?.. Allaient-ils être attaqués par eux ?... Ce qui était certain, c’est qu’un brusque changement venait de se manifester dans la disposition des feux sur le bord de la forêt. Un moment ces feux disparurent derrière le rideau des premiers arbres, au milieu d’une obscurité profonde. « Attention !... dit Max Iluber. — En arrière !... » répondit Khamis. Convenait-il de rétrograder dans la crainte d’une agression immédiate ?... Peut-être. En tous cas, mieux valait ne pas battre en retraite, sans être prêt à répondre coup pour coup. Les carabines armées remontèrent à l’épaule, tandis que les regards ne cessaient de fouiller les massifs confondus dans l’ombre. Soudain, de cette ombre, les clartés ne tar­ dèrent pas à jaillir de nouveau et reparurent au nombre d’une vingtaine. « Parbleu ! s’écria Max Huber, cette fois-ci, si ce n’est pas de l’extraordinaire, c’est tout au moins de l’étrange ! » Ce mot semblera justifié pour cette raison que les torches, après avoir brillé naguère au niveau de la plaine, jetaient alors de plus vifs éclats entre cinquante et cent pieds au-dessus du sol. Quant aux êtres quelconques qui agitaient ces torches, tantôt sur les basses branches, tantôt sur les plus hautes, comme si un vent de flamme eût traversé cette épaisse frondai­ son, ni Max Huber, ni le foreloper, ni Llanga ne parvinrent à en distinguer un seul. « Eh ! s’écria Max Huber, ne seraient-ce que des feux follets se jouant dans les arbres de la lisière ?... »

Khamis secoua la tête. L’explication du phé­ nomène ne le satisfaisait point. Qu’il y eût là quelque expansion d’hydrogène en exhalai­ sons enflammées, une vingtaine de ces aigrettes que les orages accrochent aussi bien aux branches des arbres qu’aux agrès d’un navire, non, certes, et ces feux, on ne pou­ vait les confondre avec les capricieuses furolles de Saint-Elme. L’atmosphère n’était point sa­ turée d’électricité, et les nuages menaçaient plutôt de se résoudre en une de ces pluies torrentielles qui inondent fréquemment la partie centrale du continent noir. Mais, alors, pourquoi les indigènes, campés au pied des arbres, s’étaient-ils hissés, les uns jusqu’à leur fourche, les autres jusqu’à leurs extrêmes branches ?... Et à quel propos y promenaient-ils ces brandons allumés, ces flambeaux de résine dont la déflagration faisait entendre ses craquements à cette distance ?... « Avançons... dit Max Huber. — Inutile, répondit le foreloper. Je ne crois pas que notre campement soit menacé cette nuit, et il est préférable d’y revenir afin de rassurer nos compagnons... — Nous serons plus en mesure de les rassurer, Khamis, lorsque nous saurons à quoi nous en tenir sur la nature de ce phéno­ mène... — Non, monsieur Max, ne nous aventu­ rons pas plus loin... Il est certain que les gens d’une tribu nomade sont réunis en cet endroit... Pour quelle raison agitent-ils ces flammes ?... Pourquoi se sont-ils maintenant réfugiés dans les arbres ?... Est-ce dans le but d’éloigner des fauves qu’ils ont entretenu ces feux ?... — Des fauves ?... répliqua Max Huber. Mais panthères, hyènes, bœufs sauvages, on les entendrait rugir, et le seul bruit qui nous arrive, c’est le crépitement de ces résines, qui menacent d’incendier la forêt !... Je veux savoir... » Et Max Huber s’avança de quelques pas, suivi de Llanga, que Khamis rappelait vaine­ ment à lui. Le foreloper hésitait sur ce qu’il devait