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À LA RIVIÈRE

que le Dr Ortiz autorisait Mme Brial à descendre respirer le bon air tiède dans la salle de verdure. Aussitôt Marthe et Norbert s’étaient attelés à la besogne, déclarant que personne ne saurait aussi bien qu’eux ce qu’il fallait à leur mère. Au beau milieu du tapis que la petite fille était allée chercher dans sa propre chambre, son frère installa une bergère douillette et commode, choisie par eux après longue délibération ; le coussin à mettre sous les pieds de la convalescente, les châles pour le cas où elle aurait froid, l’ombrelle pour l’abriter du soleil furent placés et déplacés vingt fois avant que Mme Brial parût enfin au bras de son mari. Mais la joie fut à son comble lorsque ce dernier proposa de dresser près du fauteuil la table du déjeuner.

« Sois tranquille, Rousseline, nous allons t’éviter de la peine, nous nous chargeons du couvert, dit Marthe ; mais où donc est Jacques ? il ne nous aide pas…

— C’est vrai, où est-il passé ? Il est pourtant rentré avec nous ! »

Une demi-heure s’écoula, le petit homme ne paraissait pas ; Norbert, envoyé à sa recherche, avait exploré tous les coins du jardin, il revenait des Myrtes, où personne n’avait entendu parler de Jacques, lorsque ses parents le virent accourir :

« Père, criait-il, père, viens vite recevoir la cousine Dorothée, elle est à la grille !

— Dorothée ici !… Dorothée à Beau-Soleil ! est-ce possible ! »

M. Brial allait se précipiter, mais déjà la vieille demoiselle entrait dans la salle de verdure.

« Salut, Honoré ! bonjour, ma cousine ! dit-elle après une majestueuse révérence, ce n’est pas une visite que je viens vous faire, je veux tout simplement vous dire que votre Jacques est chez moi. En revenant de l’église, ne l’ai-je pas trouvé qui barbotait dans la Foux pour repêcher la clef du pont qu’il y avait jetée ! J’arrivais à point : par cette grande chaleur le froid commençait à le saisir ; alors, sans hésiter, je l’ai porté à la bastide, frictionné… réchauffé… soyez tranquilles, ce gamin est hors de danger et dort à poings fermés.

— Ma bonne cousine, dit Mme Brial très émue, encore ce service après celui que vous nous avez rendu hier !… comment vous prouver ma reconnaissance ?

— En apprenant à vos enfants que la cousine Lissac n’est pas une girouette qu’ils peuvent faire tourner à leur gré… Ils sont insupportables, tes enfants, Honoré ; on dirait qu’ils se liguent avec ma nièce pour me faire faire ce que je ne veux pas… Sans ma grande fermeté, je crois vraiment que cette troupe de bambins prétendrait que j’oublie mes droits sur « ma Foux » ; mais cela, jamais, jamais !… Norbert, avance ici et donne-moi la main ; je m’étais trompée pour la clef… ton père sait-il cette affaire ?

— Oui, cousine, depuis ce matin, et autre chose encore que vous ignorez ; attendez une minute. »

Le jeune garçon partit en courant et reparut presque aussitôt portant le « chef-d’œuvre » du père Lissac.

« Cousine Dor, vous croyez m’avoir donné une canne, n’est-ce pas ?

— Une canne et aussi une relique de famille que tu dois être fier de posséder, rectifia Mlle Dorothée.

— Je sais ; mais elle est encore autre chose que vous ne soupçonnez pas… une boîte aux lettres, voyez vous-même… »

En parlant, il avait dévissé lentement la petite tête de bois qui semblait rire de plus belle pendant que son cou s’allongeait. Enfin l’étui parut aux yeux stupéfiés de Mlle Lissac.

« Prenez, c’est à vous, ajouta Norbert qui fit glisser le papier dans sa main, M. Ortiz était avec moi quand nous avons découvert cela, mais personne n’y a touché. »

Muette de surprise et d’émotion, Mlle Dorothée reçut le petit rouleau, l’examina curieusement et se décida à rompre le fil de soie qui le fermait, déroulant d’une main tremblante la mince feuille jaunie.

Du premier coup d’œil elle reconnut la signature au-dessous de quelques lignes d’une grosse écriture.

Voici ce qu’elle lut :