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ANDRÉ LAURIE

nécessairement apporter des changements importants dans les conditions générales de la lutte. Les tacticiens d’autrefois s’accordaient à proclamer la supériorité de l’offensive sur la défensive, toutes choses égales d’ailleurs. Voici que les rôles étaient intervertis, par une conséquence logique de l’élargissement progressif de la zone dangereuse que les combattants ont à franchir pour prendre contact. Désormais, une poignée d’hommes bien retranchés peut tenir en respect des forces dix fois supérieures et leur infliger des pertes énormes, les briser ou les démoraliser avant même d’être abordée. Quels exemples en donnaient les Boers !… Ils n’étaient pas deux cents, et ils arrêtaient trois mille hommes. Ils n’avaient pas une éraflure et devant eux la plaine restait jonchée de cadavres !…

Cela, parce qu’ils savaient se garder avec soin, ne pas montrer à l’ennemi la moindre partie de leur personne et, d’autre part, viser à loisir, ménager leurs munitions, ne tirer qu’à coup sûr…

Et quels tireurs incomparables !… quel sang-froid !… quel calme superbe !… Leur adresse était sans rivale à se servir d’un fusil qui portait à douze ou quinze cents mètres. Ils auraient pu frapper à cette distance. Ils préféraient attendre, laisser venir l’ennemi à portée plus sûre encore et ne pas perdre une seule cartouche…

À la vérité, leur petit nombre ne permettait pas les mouvements d’ensemble seuls capables, à l’issue du combat, de couronner et compléter la victoire. À ce moment même, ils laissaient au bas du kopje les canons abandonnés et n’avaient point de cavalerie pour cerner et ramasser leurs adversaires en déroute.

Mais leur exemple même montrait ce que peut, désormais, pour se rendre inexpugnable sur son propre sol, un peuple animé de la résolution farouche de ne pas se laisser entamer. C’est la fin des guerres de conquête entre nations civilisées. Gérard en avait le sentiment profond. Dans son cœur de Français, il remerciait les petits-fils de Français que sont les Boers de la liante leçon de choses par eux donnée à l’univers.

André Laurie.

(La suite prochainement.)