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ANDRÉ LAURIE

à l’ouest, tirait à toute volée au-dessus de la position des Boers, mais ses obus, franchissant le camp sans qu’il lui fût possible de mesurer leur trajectoire, allaient éclater à cinq ou six cents métres en arrière des chariots.

Celle-ci pouvait devenir dangereuse, pour peu qu’elle rectifiât son feu. Mauvilain se porta de sa personne vers sa propre artillerie. Il pointa sa pièce d’acier sur la batterie de l’ouest et tira, vérifiant aussitôt à la lorgnette l’effet de ce coup d’essai.

« Trop bas de cent mètres », se dit-il à lui-même, tandis que ses aides rechargeaient la pièce.

Le second coup fut plus heureux. Il porta en plein sur un des canons anglais, brisant l’affût, tuant cinq hommes, en blessant une douzaine. Les chevaux, affolés, ruaient et s’embarrassaient dans leurs traits. Néanmoins, la batterie riposta et cinq nouveaux obus passèrent successivement au-dessus du camp boer. Mais, au quatrième coup de Mauvilain, elle ne donna plus signe de vie.

Il revint alors vers l’est pour aviser à l’autre batterie. La jugeant, après examen, peu dangereuse, ou trop difficile à atteindre, il ne s’en occupa plus et tourna son attention vers le pied du kopje.

Sous le feu qui les décimait, les Anglais tenaient bon, travaillant toujours à arracher les pieux, à démonter les fils barbelés dont les pointes leur déchiraient les chairs et leur ensanglantaient les mains. Avec des peines infinies, ils étaient parvenus à en débarrasser le sol sur une largeur de trente ou quarante mètres, et, par cette brèche, ils allaient passer en force, pour escalader les premiers échelons de la hauteur. Les plus ardents se jetaient déjà dans le fossé.

À ce moment, le feu des Boers devint si rapide et si nourri, et tomba si juste sur la masse humaine qui s’entassait à leurs pieds, qu’elle fléchit et recula. On la vit s’ouvrir et se rompre presque aussi vite qu’elle s’était formée, se replier en arrière pour gagner précipitamment les plis de terrain où elle pouvait trouver un abri.

L’escadron de cavalerie, resté à couvert derrière un bois, en sortit aussitôt pour barrer la plaine en se déployant et ramener ceux qui s’écartaient. Ce mouvement concentrique, effectué avec une grande précision, en même temps qu’il ramassait les fantassins isolés, eut pour effet naturel de rapprocher les cavaliers de la base du kopje, où ils arrivèrent au bout d’un quart d’heure massés presque au complet.

L’occasion parut propice à Mauvilain pour réaliser un projet qui hantait sa pensée depuis le matin. Au cours de son entretien avec Weber, il avait appris que le canon de bois saisi sur le dos de Goliath et transporté dans la tranchée avait pour defaut principal une portée très réduite. Weber avait même insisté sur ce point dans la pensée insidieuse de dégoûter le brave Boer de la prise. Mais Agrippa n’avait tiré qu’une conclusion de l’argument : c’est que le canon de bois devait être utilisé à faible distance. Partagé entre l’envie de s’approprier une arme de plus, si elle était efficace, et l’honnête désir de ne pas attenter à la propriété de ses amis français, si cette propriété n’en valait pas la peine, le paysan madré qu’il était sous sa rude écorce voulait avant tout savoir à quoi s’en tenir. L’escadron anglais se trouvait à trois cents mètres au plus, en contre-bas de la tranchée où le canon de bois avait été mis en batterie. C’était le moment ou jamais d’en faire l’expérience.

Sans prendre la peine d’en demander la permission aux auteurs de la pièce, Agrippa pointa celle-ci sur l’escadron et tira.

Quand il eut porté la lorgnette à ses yeux, pour vérifier l’effet de son coup d’essai, il resta stupéfait de ce qu’il aperçut. L’obus avait éclaté en plein escadron. Dans un rayon de cent mètres autour du point où il était tombé, les cadavres d’hommes et de chevaux jonchaient le sol. Tout autour de ce cercle infernal, les cavaliers se dispersaient au galop, tournant le dos au kopje. Jamais obus n’avait produit effets aussi foudroyants sur les uns, et aussi démoralisants sur les autres…

L’escadron, tout à l’heure si compact, s’était émietté, pour ne pas dire évaporé. Il n’en