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COLETTE EN RHODESIA

Celui que le commando ou corps franc d’Agrippa Mauvilain occupait depuis trois semaines s’élève à six kilomètres environ au nord de Boulouwayo. C’est le type même de ce genre de forteresse. À le voir d’en bas, du côté de son versant méridional, c’est une colline comme une autre, sans rien de particulier pour la signaler à l’attention, sinon la placidité même de son aspect. Des buissons, des roches émergeant du sol, une crête nue. Rien de plus trompeur que cette apparence pacifique. Derrière chacun de ces buissons et chacune de ces roches un abri est creusé, d’où une sentinelle boer surveille la plaine par une fente ménagée tout exprès. Au pied même de la colline, un réseau de fils métalliques barbelés se dissimule dans l’herbe, porté sur des pieux bas, et opposera un obstacle infranchissable pour plusieurs heures à tout assaut direct. Derrière la crête même du coteau s’allonge une tranchée profonde, couverte de branchages et d’écorces d’arbres, où deux ou trois douzaines de Boers, armés jusqu’aux dents, sont toujours de service. Sur une plate-forme de terre ménagée dans cette tranchée, en face d’une embrasure naturelle, deux canons, l’un en acier et de modèle très moderne, l’autre en bois et d’allure plutôt rustique, allongent leur col, prêts à se démasquer au premier signe et à ouvrir le feu sur la plaine. Le canon de bois est celui-là même que M. Weber a fabriqué, que Benoni a volé, qu’Agrippa Mauvilain a saisi et dont il vient d’augmenter sa batterie. Les obus de bois sont allés rejoindre sous une hutte de terre les munitions du canon d’acier.

Le camp boer est établi sur le versant septentrional du kopje, à quelques mètres de la tranchée. Il se compose d’une centaine de cabanes de terre battue, de dimensions et d’aménagements variés, mais qui présentent toutes cette particularité de s’ouvrir par une large baie vers la crête de la colline et de ne présenter, du côté opposé, qu’un mur percé de meurtrières. Au pied de ce village de gourbis, tous les wagons du commando, dételés et vides, sont rangés en ligne et dessinent la limite du lagger ou campement.

On en a extrait tout le mobilier, tous les ustensiles et provisions, pour les transporter dans les maisonnettes. Quant aux bœufs de trait, ils paissent paisiblement dans l’enclos formé par les wagons.

Rien de plus original que ce camp, et qui ressemble moins aux scènes de bivouac que le pinceau, la plume ou notre expérience propre peuvent nous rappeler. Le Boer est essentiellement migrateur. Il ne lui coûte pas de changer de place ; au premier signe de danger, à tout appel de nécessité, souvent même pour un simple caprice, il est prêt à démonter sa maison, à rassembler ses dieux lares, à mobiliser sa nombreuse progéniture et à aller planter sa tente sous de nouveaux cieux. La guerre est aussi pour lui un état naturel, permanent, non point un épisode romanesque, tragique ou exceptionnel. Il lutte toujours ; non seulement contre les éléments : cyclones, bourrasques, trombes ou pluies diluviennes qui, dans les régions tropicales, prennent les proportions de véritables fléaux ; il doit éternellement demeurer en éveil contre l’ennemi, homme ou bête, qui sans cesse rôde autour de lui, et dont aucune police ne le protège dans les vastes solitudes qu’il s’est choisies pour demeure. Son existence est littéralement un combat : jamais son fusil n’est loin de sa main ; à la ceinture et sur l’épaule droite il porte deux cartouchières à gainiers ; ses enfants sont dressés dès leur jeune âge à connaître le maniement des armes ; sa femme dépose sans s’étonner la quenouille pour la carabine toutes les fois qu’il est nécessaire.

Son état présent n’est donc point anormal ; c’est sans la moindre surexcitation que les deux cents hommes volontairement rangés sous le commandement d’Agrippa ont déménagé avec femmes et enfants et sont venus prendre position devant Boulouwayo pour en commencer le siège, tout en vaquant aux soins ordinaires de leur vie. Rien ne paraît changé dans leur existence ; tout au plus l’élément militaire y a-t-il pris une place plus ample. En tout cas, l’ordre immuable des occupations, l’heure des repas, la longueur