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A. MOUANS

« Parlez plus fort ! », lui cria Mlle  Lissac en frappant du pied.

Il comprit son geste d’impatience et enfla la voix.

« M. Brial… voyage… accident… morts ! » furent les seuls mots qui traversèrent la Foux.

En les entendant, la tante d’Irène pâlit à son tour.

« Ils nous annoncent une catastrophe, c’est clair ! dit-elle, mais j’ai dû mal comprendre le dernier mot ! non, non, mon cher Honoré n’est pas mort… ce serait trop affreux !

— Vois, tante, Norbert recommence sa pantomime ; on dirait qu’il te supplie ! »

Mlle  Dorothée ne répondit pas ; ses regards allaient de l’enfant désolé au vieux pont moussu.

« Allons, murmura-t-elle en prenant tout à coup son parti, malgré ma fermeté, il était dit que j’ouvrirais ma porte à un Brial ! »

Les assistants n’en pouvaient croire leurs yeux lorsqu’ils la virent, sa clef à la main, se diriger vers la porte et l’ouvrir toute grande. En deux bonds Norbert fut devant elle, et d’un ton pénétré :

« Ah ! cousine ! que vous êtes bonne d’avoir ouvert ! je ne pouvais faire le tour par en bas, c’est trop long.

— Explique-toi, dit-elle de sa voix la plus rude ; mais si tu m’as fait faire une action aussi grave pour une bagatelle, je ne te pardonnerai de ma vie !

— Hélas ! non, ce n’est pas une bagatelle : mon pauvre papa, qui revenait de Gênes, avait annoncé qu’il serait ici hier soir ; il n’est pas arrivé et voilà que Bosque vient de lire dans le journal un terrible accident de chemin de fer : un train a déraillé près de Vintimille ; il y a des morts, et, parmi les blessés, on parle d’un monsieur de Grasse dont on ne dit pas le nom !… c’est lui certainement !… il est tout seul là-bas, peut-être en danger…

— Pauvre Honoré ! sera-t-il victime de cette diabolique machine ! s’exclama Mlle  Dorothée ne cherchant plus à dissimuler son émotion, je suppose que ta mère est déjà partie pour le lieu de l’accident ? »

Les traits de Norbert exprimèrent le plus grand abattement :

« Non, cousine, voilà deux jours que maman est au lit, on craint une fièvre ; le docteur Ortiz a recommandé qu’elle soit très tranquille… je n’oserai jamais lui apprendre la triste nouvelle ; elle voudrait partir tout de même et c’est très dangereux, n’est-ce pas, de se lever quand on a une fièvre muqueuse ?

— Dangereux, et même impossible ! ta mère ne pourrait se tenir debout.

— Alors, cousine, donnez-moi un conseil ; je n’ai que vous pour me dire ce qu’il faut faire !… Ah ! que je suis malheureux ! »

Les sanglots étouffaient le jeune garçon ; Irène, près de lui, pleurait à chaudes larmes ; le vieil employé se tamponnait vigoureusement les yeux avec son mouchoir. Les mains nerveuses de Mlle  Lissac secouèrent les enfants.

« Est-ce à cela que vous êtes bons dans un pareil moment ? dit-elle d’une voix indignée, et vous, Bosque, allez-vous pleurnicher comme un marmot ?… Répondez plutôt : êtes-vous certain que votre patron était dans le train qui a déraillé ?

— Presque certain, mademoiselle ; voici la lettre où il annonce son retour.

— Hum ! hum ! il n’y a plus de doute alors… Cher Honoré !… pauvre cousin… Écoute, Norbert, il faut être courageux et faire appel à ton intelligence pour cacher à ta mère ce qui nous inquiète… une violente émotion lui ferait beaucoup de mal ; tu es l’aîné, tâche que Marthe et Jacques ne commettent aucune imprudence…

— Mais papa, nous ne pouvons pas l’abandonner si loin, au milieu d’étrangers !

— Soyez tranquille, monsieur Norbert, dit Bosque d’un ton rassurant, le bon monsieur ne manquera pas d’amis dans Grasse qui vont se proposer pour aller à Vintimille ; tenez, M. Bernaudat, c’en est un vrai, celui-là, et… »

La voix grondeuse de Mlle  Dorothée interrompit ce discours :

« Bosque, vous êtes un brave homme, mais