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LA FOUX-AUX-ROSES

ma tante aurait parfaitement le droit d’y mettre notre Foux-aux-Roses, et elle ne vous en ferait jamais cadeau !

— Ta, ta, ta, papa est trop bon. Mais, quand je serai grand, vous verrez si je me gêne pour semer des écrevisses dans cette eau-là et venir les pêcher… En attendant, montrez votre bouteille… »

Lorsque Jacques taquinait, il ne savait pas s’arrêter à temps. Il voulut prendre le flacon ; sa cousine résista, et, après une courte lutte, la fiole, glissant de leurs mains, fit une pirouette et vint retomber sur le sol où elle se brisa en mille morceaux.

Au même instant, Nadine et Marthe, qui les avaient aperçus d’une fenêtre, s’élancèrent entre les combattants.

« Oh ! Jacques, que tu es méchant ! s’écria cette dernière. Si mère n’était pas si souffrante, j’irais la prévenir tout de suite ; oui, tout de suite !…

— Ce n’était pas pour la casser, murmura le garçonnet un peu mortifié ; je voulais seulement savoir…

— Tu bousculais Irène ; je t’ai vu.

— Ah ! tu m’ennuies à la fin. Va rapporter si cela te fait plaisir ! »

Et, selon sa coutume, lorsqu’il avait commis quelque sottise, le petit bonhomme s’esquiva.

« Qu’y avait-il là dedans ? demanda Nadine en regardant les débris de la fiole.

— De l’onguent pour la main de Norbert ; ma tante craignait qu’il ne fût trop souffrant pour venir se faire panser chez nous.

— Mais il est parti bien avant l’heure du collège pour s’arrêter à la bastide, répondit Marthe. Papa le lui a recommandé ; il a pris le chemin d’en haut.

— Et moi celui d’en bas. Je comprends, nous nous sommes croisés sans nous rencontrer ; tante Dor doit être satisfaite.

— Et moi aussi, petite cousine, puisqu’elle t’a envoyée chez nous. Entre vite, Nadine et moi nous avons justement un grand projet à te confier. »

Marthe entraîna sa cousine. Les trois amies s’installèrent dans sa chambre, dont l’ameublement coquet et les tentures à fleurs roses émerveillèrent la simple Irène.

« En voudrais-tu de semblables ? demanda Marthe, flattée de son admiration.

— Non, cela n’irait guère avec les chers vieux meubles de notre bastide, et puis, je ne désire jamais les choses que je ne peux pas avoir… excepté…

— Excepté quoi ?

— Que la grande querelle soit terminée !

— Ah ! moi aussi, par exemple ! approuva Marthe en embrassant sa cousine. À présent, parlons de notre affaire. Voyons, Nad, tu racontes mieux que moi. »

Quoique le récit de Nadine ne fût pas long, il fit ouvrir de grands yeux à Irène.

L’avant-veille, Thérésine Riouffe était venue aux Myrtes chercher quelques effets que Mme Jouvenet avait promis de lui donner ; mais, en traversant le jardin, la pauvre fille, qui ne portait pas de chaussures, s’était mise à pousser des cris de douleur. On était accouru, et Généreuse, après l’avoir portée sur un banc, avait, à la surprise générale, retiré de son pied ensanglanté un hameçon, dont la pointe barbelée lui déchirait les chairs.

« Cet hameçon n’a pas une tache de rouille et doit être ici depuis peu de jours, avait dit M. Jouvenet en l’examinant. Eh ! mais en voilà un second, puis un autre, puis un quatrième ; tous aussi brillants. Qui donc les a semés là ? »

Chacun s’étonnait ; Philippe plus que tout le monde.

« Ce sont probablement des passants qui ont jeté cela par-dessus le mur, disait-il, ou bien M. Pomard les a perdus avant-hier en venant faire une visite. Vous savez, il a un yacht et pêche à Jouan-les-Pins. »

Malheureusement, au milieu de ses ingénieuses suppositions, Jacques, survenant, s’était écrié :

« Comment ! tu ne te souviens plus ?… Mais ce sont les hameçons de Norbert ; tu les as lancés de tous côtés pour te venger, l’autre jour qu’il te taquinait. »

« Est-il assez maladroit, ce Jacques ! dit Marthe étourdiment ; Philippe a raison de lui en vouloir.