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JULES VERNE embrassa une dernière fois le jeune indigène et tendit, non point sa patte comme l’eût pu faire un chien, ou sa main comme l’eût pu faire un quadrumane, mais ses deux mains que John Cort et Max Huber serrèrent avec plus de cordialité que Khamis. « Mon cher Max. dit alors John Cort, un de vos grands écrivains a prétendu que dans tout homme, il y avait moi et l’autre... Eh bien, il est probable que l’un des deux manque à ces primitifs... — Et lequel, John ?... — L’autre, assurément... En tous les cas. pour les étudier à fond, il faudrait vivre parmi eux pendant des années !... Or, dans quelques jours, j’espère bien que nous pour­ rons repartir... — Cela, répondit Max Huber, dépendra de Sa Majesté, et qui sait si le roi Mselo-TalaTala ne veut pas faire de nous des chambel­ lans de la cour wagddienne ! »

chez les sauvages les plus arriérés et qu’ils ne possédaient pas sans doute, on pouvait tenir pour sûr qu’ils étaient doués de qualités affectives. Non seulement ils avaient pour leurs enfants ces sentiments dont les animaux ne sont pas dépourvus tant que leurs soins sont nécessaires à la conservation de l’espèce, mais ces sentiments sc continuaient au delà, ainsi que le père et la mère le montraient pour Li-Maï. La réciprocité existait, d’ailleurs. Echange entre eux de caresses paternelles et filiales... La famille existait. Après un quart d’heure passé dans cette paillottc, Khamis, John Cort et Max Huber en sortirent sous la conduite de Lo-Mai et de son enfant. Ils regagnèrent ainsi la case où ils avaient été enfermés et qu’ils allaient occuper pendant... Toujours cette question, et peutêtre ne s’en rapporterait-on pas à eux seuls pour la résoudre. Là, on prit congé les uns des autres. Lo-Maï

XV Trois semaines d’études.

Et, maintenant, combien de temps John Cort, Max Huber, Khamis et Llanga resteraientils dans ce village ?... Un incident viendrait-il modifier une situation qui ne laissait pas d’être inquiétante ?... Très surveillés, ils n’auraient pu s’enfuir. Et, d’ailleurs, s’ils parvenaient à s’évader, comment, au milieu de cette im­ pénétrable région de la grande forêt, en rejoindre la lisière, ou retrouver le cours du rio Johausen ?.. ; Après l’avoir tant désiré, Max Huber esti­ mait que l’extraordinaire perdrait singulière­ ment de son charme à se prolonger. Aussi allait-il se montrer le plus impatienta revenir vers le bassin de l’Oubanghi, à regagner la factorerie de Libreville, d’oû ils ne devaient attendre aucun secours. Le foreloper, lui, enrageait de cette malcchancc qui les avait fait tomber entre les pattes — dans son opinion, c’étaient des pattes — de ces êtres inférieurs. II ne dissi­ mulait pas le parfait mépris qu’ils lui inspi­ raient, parce qu’ils ne se différenciaient pas sensiblement des tribus de l’Afrique centrale.

Khamis en éprouvait une sorte de jalousie instinctive, dont il ne sc rendait pas compte, mais que les deux amis sentaient très bien. A vrai dire, il était non moins pressé que Max Huber de quitter Ngala, et tout ce qu’il serait possible de faire à ce propos, il le ferait. C’était John Cort qui marquait le moins de hâte. Étudier ces primitifs, l’intéressait de façon toute spéciale, approfondir leurs mœurs, leur existence dans tous ses détails, leur caractère ethnologique, leur valeur morale, savoir jusqu’à quel point ils redescendaient vers l’animalité. Quelques semaines y eussent suffi. Mais pouvait-on affirmer que le séjour chez les Wagddis ne durerait pas au delà — des années peut-être ?... Et quelle serait l’issue d’une si étonnante aventure ?... En tous cas, il ne semblait pas que Khamis et ses compagnons fussent menacés de mau­ vais traitements. A n’en pas douter, ces syl­ vestres reconnaissaient leur supériorité intel­ lectuelle. En outre, ce qui était singulier, ils n’avaient jamais paru surpris à la vue de ces représentants de la race humaine. Toutefois,