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ANDRÉ LAURIE

d’aborder ce sujet délicat, l’effet des réflexions personnelles d’Agrippa Mauvilain sur « le tien et le mien » en temps de paix et de guerre.

Au surplus, on n’avait qu’à se louer de son hospitalité. Faisant évacuer deux des huttes de terre placées à la lisière du camp,

il les avait mises, avec leur mobilier sommaire, à la disposition de la famille Massey, en ordonnant que les détenteurs de ces huttes émigrassent provisoirement à l’hôpital militaire. Quant aux provisions de bouche, elles ne manquaient pas, extraites des chariots qui servaient de magasins. On les vit bientôt apportées en abondance par une légion de nymphes qui avaient suivi leurs pères, frères et mères à la guerre sainte et qui faisaient fonction d’intendants ou de commissaires aux vivres, en attendant qu’elles fissent le coup de feu, s’il était nécessaire.

Ces jeunes filles boers, il faut le dire, étaient singulièrement bien préparées par leur existence antérieure au rôle actif qui allait s’ouvrir pour elles dans les luttes de l’indépendance. Grandes et fortes, habituées aux plus rudes besognes, à la vie en plein air, aux voyages de dix et quinze lieues à cheval, la carabine en bandoulière, pour aller seules visiter une amie sur quelque ferme lointaine, elles aiment d’un amour farouche la terre déserte et austère qui les a vues naître. Ce sont, dans la vie normale, de véritables amazones ; il est naturel qu’elles restent telles dans la vie des camps. Et, à vrai dire, leur journée ne différait guère à Johannskopje de ce qu’elle pouvait être quelques semaines plus tôt, au fond de leur demeure solitaire.

Jamais bivouac ne fut plus patriarcal, ni belligérants ne furent plus bucoliques dans leurs allures. Sans l’abondance des armes, des consignes, des sentinelles et patrouilles, le lagger d’Agrippa Mauvilain, avec ses bœufs au repos, ses huttes familiales, ses troupes de femmes et d’enfants occupés aux travaux domestiques dans le cadre coutumier des meubles traditionnels, lelaggeraurait pu passer pour un camp d’émigrants ou pour un établissement agricole, plutôt que pour la redoute d’un bataillon d’élite.

André Laurie.

(La suite prochainement.)