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A. MOUANS

La tante Dor parut réfléchir :

« Hum ! hum ! à son retour, ta cousine n’a pas parlé assez vite ; moi, j’ai été trop prompte… est-ce que je pouvais imaginer cette histoire de chute ?…

— Papa et maman ne nous punissent jamais avant d’être certains que nous sommes coupables.

— Hum ! hum ! je ne dis pas qu’ils ont tort… Une autre fois, Irène, quand tu auras une bonne excuse à me présenter, tâche de crier tout de suite plus fort que moi au lieu de te laisser gronder comme une petite niaise. »

Irène se mit à rire :

« Mais, tante, ta voix est deux fois plus grosse que la mienne !

— Bah ! reprit Norbert sur un ton délibéré, Irène n’aura plus d’occasion de désobéir puisqu’elle viendra à Beau-Soleil et que nous viendrons ici ! »

Mlle  Lissac le regarda de travers :

« C’est cela, mon garçon, abuse sans te gêner de ma reconnaissance… Ai-je parlé d’envoyer ma nièce chez tes parents ?… Certes, il sera convenable qu’Irène aille remercier ton père du soin qu’il a pris d’elle, mais cela ne change rien à mes idées : je suis ferme et notre querelle ne sera terminée que le jour où vous me rendrez la moitié du Champ-aux-Roses, comme mon père le réclamait.

— Si j’étais le maître, je vous la donnerais tout de suite, pour vous voir contente, cousine Dor ; mais ce n’est pas mon affaire, ajouta Norbert, qui se souvint à propos des sages recommandations de son père.

— Voilà qui est parler en garçon raisonnable et loyal, dit la vieille demoiselle subitement radoucie ; allons, je vois que tu ne conseilleras pas à Irène d’abandonner notre jolie Foux quand elle sera maîtresse ici.

— Et vous consentez à ce qu’elle vienne à Beau-Soleil ?

— Nous verrons… je réfléchirai…

— Merci, cousine Dorothée ; je vous assure qu’elle sera bien reçue chez nous, riposta bravement Norbert, devinant que cela voulait dire oui. Oh ! l’excellente idée que j’ai eue de venir par ici !

— Mais vous n’étiez pas seul ? Où donc est passé Morilo ? Il mordait si bravement le vagabond », dit Irène.

En entendant son nom, le caniche, qui, en chien modeste, s’était tapi sous la table, montra sa tête noire avec des signes de bonne humeur.

« Il mérite une récompense », déclara solennellement la tante Dor en sortant du buffet des macarons que le toutou croqua sans se faire prier.

Lorsque Marie-Louise, en rentrant, eut été mise au courant du danger qui avait menacé ses maîtresses, la bastide retentit de ses exclamations où la frayeur se mêlait à l’admiration pour le courage du « brave petit monsieur » qui ressemblait aux héros dont elle avait lu l’histoire à l’école.

« Tu vas trop vite, ma fille, dit Mlle  Lissac en suivant des yeux Norbert, qui s’éloignait : ce n’est jusqu’à présent qu’un bon et brave enfant ; mais, à ces natures-là, une occasion suffit pour se couvrir de gloire… Son père n’était ni moins brave, ni moins bon à cet âge… Il lui ressemble tant que cela me réjouit, ajouta-t-elle plus bas… Hélas ! pourquoi faut-il que la Foux coule entre nous !… »

Pour la première fois, elle regrettait amèrement l’héritage de rancune que lui avait légué le père Lissac.

« Petite Irène, disait au même instant Norbert à sa cousine qui l’accompagnait jusqu’à la barrière, votre tante est très bonne malgré son ton de croquemitaine ; il faudra bien qu’elle consente à rouvrir le pont fermé. »


CHAPITRE XI


Le surlendemain, dès le matin, Mlle  Dorothée prépara tout ce qu’il fallait pour panser le poignet de Norbert.

« Petite, ordonna-t-elle quand tout fut prêt, va donc voir si tu aperçois ton cousin sur la route. »