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EN FINLANDE

l’avait apostrophée de sa plus grosse voix :

« On dirait que tu as cent kilogrammes de violettes dans ta poche. D’où viens-tu, petite malheureuse ?

— De la grande distillerie ; tu m’avais permis d’y conduire Nadine…

— Et tu y es entrée !… avoue-le tout de suite.

— Oui, tante, pour suivre le conseil du cousin Honoré qui m’a dit… »

Là s’était arrêté le récit si bien préparé par Irène.

« Suivre le conseil de celui qui nous conteste la possession de notre Foux ! A-t-on jamais rien imaginé de pareil ! Monte dans ta chambre, tu y réfléchiras sur la gravité de ta faute jusqu’à demain soir ! » s’était écriée Mlle Dorothée refusant d’entendre un mot de plus.

Depuis le matin seulement la fillette avait eu la permission de descendre, et, après un regard sévère en réponse à son bonjour caressant, sa tante, sans paraître se rappeler qu’on était au jeudi, lui avait mis dans les mains l’ouvrage qu’elle tenait encore.

« Cette fois, la leçon sera bonne, répétait en elle-même Mlle Dorothée, quittant des yeux son tricot pour observer à la dérobée le petit visage résigné qu’entouraient les cheveux d’or.

« Son air grave me serre le cœur, mais une personne aussi ferme que moi ne peut permettre qu’une enfant agisse ainsi à sa tête. »

« Tante, demanda tout à coup Irène, dont l’esprit trottait toujours, que ferais-tu si quel qu’un tombait de voiture devant la bastide ?

— Encore une idée saugrenue ! Il n’est jamais arrivé d’accident sur cette route de puis ma jeunesse.

— Pourtant cela peut arriver…

— Eh bien, mademoiselle, votre tante agirait alors comme tous les gens de cœur ; a-t-on quelquefois vu un Lissac refuser des soins à ceux qui souffrent… à un blessé !

— Oh ! non, tante, et tu es la meilleure de tous les Lissac, comme le cousin Honoré est certainement le meilleur des Brial, répliqua Irène en levant ses yeux gris ; il est accouru tout de suite quand Vol-au-Vent m’a lancée à terre… et, comme il m’a relevée doucement, comme sa voix tremblait en me nommant : « Ma chère enfant !… »

— Hein !… Vol-au-Vent… Honoré… que me chantes-tu encore ! Ma parole d’honneur, cette enfant a juré de me faire perdre la tête… Tu es tombée, tu t’es blessée ?… Parle, mais parle donc : pourquoi n’avoir rien dit en rentrant ? »

Les longues mains de la tante Dor, lâchant les aiguilles, couraient avec anxiété sur le cou, les épaules, les bras de sa nièce pour s’assurer qu’ils étaient en bon état. Dans son émoi, elle ne vit pas les lèvres d’Irène se plisser malicieusement en répliquant :

« C’est pour t’obéir que je n’ai rien dit ; tu me répétais : « Pas un mot de plus, pas un mot de plus !… » Sois tranquille : j’ai eu seulement une courbature. À présent que tu le veux bien, je vais te raconter mon histoire qui est très intéressante. »

Cette fois, ayant laissé la fillette aller jusqu’au bout de son récit, ne l’interrompant que par des « hum ! hum ! » destinés à cacher son émotion, Mlle Lissac dit enfin :

« Cela change l’idée que je m’étais faite de ta désobéissance… Je… oui, je regrette que tu ne te sois pas expliquée tout de suite, car j’ai presque commis une injustice en te punissant… Honoré a bien agi, très bien agi… on voit qu’il est de notre famille ! Je me déferai de ce Vol-au-Vent qui aurait pu te tuer…

— Oh ! fais-lui grâce, tante, il n’est pas coupable, le pauvre petit ! Morilo l’avait tant taquiné et les coups de Philippe étaient trop rudes !… Moi, je préfère avoir fait cette chute pour que le cousin Honoré me relève avec des paroles si aimables ; il m’a traitée comme une parente qu’on aime bien et Marthe était tout à fait empressée à me soigner : chez la concierge, elle a mis au moins six morceaux de sucre dans mon verre d’eau pour que ça soit meilleur… »

Irène aurait pu parler longtemps sur ce sujet, mais, au dehors, on entendait un bruit de pas ; presque aussitôt quelqu’un cria d’une voix nasillarde :