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SALVADOR

croire qu’ils appartiennent à une race supérieure dans l’animalité. Mais on n’en pourra jamais conclure que l’homme soit un singe perfectionné ou le singe un homme en dégénérescence.

Quant au microcéphale, dont on veut faire un être intermédiaire entre l’homme et le singe, espèce vainement prédite par les anthropologistes et vainement cherchée, cet anneau qui manque pour rattacher le règne animal au règne « hommal[1] », y avait-il lieu d’admettre qu’il fût représenté par ces Wagddis ?… Les singuliers hasards de leur voyage avaient-ils réservé à ce Français et à cet Américain de le découvrir ?…

Et, quand même cette race inconnue se rapprocherait physiquement de la race humaine, encore faudrait-il que les Wagddis eussent ces caractères de moralité, de religiosité spéciaux à l’homme, sans parler de la faculté de concevoir des abstractions et des généralisations, de l’aptitude pour les arts, les sciences et les lettres ! Alors, seulement, on pourrait se prononcer d’une façon péremptoire entre les thèses des monogénistes et des polygénistes.

mm(La suite prochainement.)
Jules Verne.mm

SALVADOR



Il s’appelait Salvador, un doux nom qui signifie, au delà des Pyrénées et même un peu en deçà, le Sauveur.

Il était le septième garçon de la famille et il avait six ans et demi.

Là où il était né, — à Ciboure, le joli village basque, dont les vieilles maisons à pignons dégringolent du coteau pour venir se ranger en bataille sur le bord de la Nivelle, juste en face de Saint-Jean-de-Luz — on prétendait qu’il avait le pouvoir !…

Vous vous demandez, sans doute, quel pouvoir était celui de ce gamin, pas plus haut qu’une botte, toujours pieds nus, la veste trouée aux coudes, un béret crasseux sur la tête ?…

Mais le pouvoir, quoi !… tout le monde, là-bas, savait bien ce que cela voulait dire !… Car, dans ce lointain midi qui confine à l’Espagne, une croyance populaire, que de solides enseignements religieux n’ont pu déraciner, veut que le septième garçon d’une famille soit doué d’une puissance surnaturelle dont la marque est révélée par une croix au palais.

Il reçoit au baptême le nom de Salvador !… Sa seule présence bénit le toit qui l’abrite et en écarte les maladies, les accidents, la mort même !…

Du plus loin qu’il pouvait se rappeler, Salvador Harboure retrouvait dans sa petite mémoire d’enfant des souvenirs de réveils brusques, au milieu de la nuit. Quelqu’un avait frappé à la porte ! On parlementait un instant, puis on tirait le petiot de son berceau, on le roulait dans un vieux châle et on l’emportait jusqu’à la maison voisine où la mort était venue heurter.

Le pauvre mignon ouvrait de grands yeux étonnés, ne comprenant pas pourquoi tout le monde pleurait autour de lui et il se rejetait sur l’épaule de sa mère, effrayé par le visage, qui reposait sur l’oreiller, aussi pâle que les statues de cire de l’église.

Quand il avait ôté plus grand, on lui avait appris une courte prière qu’il balbutiait docilement, les yeux gonflés de sommeil.

Plus tard, on lui avait dit qu’un petit Salvador devait donner à tous l’exemple de la sagesse, le bon Dieu ne pouvant rien accorder à un enfant méchant !

Salvador s’efforçait donc d’être sage — quand il y pensait — ; ses parents ne se plaignaient pas trop de lui ; ils ne se plaignaient d’ailleurs de personne, pas même de la Providence, comme tant d’autres ! Ils étaient pauvres, c’est vrai ; ils avaient eu beaucoup de peine à élever leur nombreuse famille ; mais

  1. Expression de M. de Quatrefages.