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LA GRANDE FORÊT

Et alors Llanga de raconter sommairement son histoire après avoir, à plusieurs reprises, baisé les mains du Français et de FAméricain, sauvés comme lui et qu’il n’espérait plus revoir. Lorsque le radeau heurta les roches, ils furent précipités dans le rapide, lui et LiMai... « Li-Mai ?... s’écria Max Huber. — Oui... Li-Mai... c’est son nom... Il m’a répété en se désignant : Li-Mai... Li-Mai... — Ainsi il a un nom ?... dit John Cort. — Évidemment, John !... Quand on parle, n’est-il pas tout naturel de sc donner un nom ?... — Est-ce que cette tribu, cette peuplade, comme on voudra, demanda John Cort, en a un aussi ?... — Oui... les Wagddis... répondit Llanga. J’ai souvent entendu Li-Mai les appeler Wagddis ! » En réalité, ce mot n’appartenait pas à la langue congolaise. Mais, Wagddis ou non, des indigènes se trouvaient sur la rive gauche du rio, lorsque la catastrophe se produisit. Ils coururent sur le barrage,ils se lancèrent dans le torrent au secours de Li-Mai et de Llanga. Celui-ci, ayant perdu connaissance, ne se sou­ venait plus de ce qui s’était passé ensuite et croyait ses amis noyés dans le rapide. Lorsque Llanga revint à lui, il était dans les bras d’un robuste Wagddi, le père même de Li-Mai, qui, lui, était dans les bras de la « ngora », sa mère ! Ce qu’on pouvait ad­ mettre, c’est que, quelques jours avant qu’il eût été rencontré par Llanga, le petit s’était égaré dans la forêt où ses parents s’étaient mis à sa recherche. On sait comment Llanga l’avait sauvé, comment, sans lui, il eût péri dans les eaux du rio Johausen. Bien traité, bien soigné, Llanga fut donc emporté jusqu’au village des Wagddis. Li-Mai n’avait pas tardé à reprendre ses forces. Il n’était malade que d’épuisement, d’inanition et de fatigues. Après avoir été le protégé de Llanga, il devint son protecteur. Le père et la mère de Li-Mai s’étaient montrés recon­ naissants. La reconnaissance ne se rencontre-

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t-elle pas chez les animaux pour les services qui leur sont rendus, et dès lors pourquoi n’existerait-elle pas chez des êtres qui leur sont supérieurs ?... Bref, ce matin même, Llanga avait été amené par Li-Mai devant cette case. Pour quelle raison ? il l’ignorait. Mais des voix se faisaient entendre, et, prêtant l’oreille, il avait reconnu celles de John Cort et de Max Huber... Voilà ce qui s’était passé depuis la sépara­ tion au barrage du rio Johausen. « Bien, Llanga, bien ! dit Max Huber, mais nous mourons de faim, et, avant de continuer tes explications, si tu peux, grâce à tes protec­ tions sérieuses... » Le jeune indigène sortit et ne tarda pas à rentrer avec quelques provisions, un fort mor­ ceau de buffle grillé, une demi-douzaine de fruits de l’acacia adansonia, dits pain de singe ou pain d’homme, des bananes fraîches et, dans une calebasse, une eau limpide, ad­ ditionnée du suc laiteux de lutex, que distille une liane à caoutchouc de l’espèce « landolphia africa ». On le comprend, la conversation fut sus­ pendue. John Cort, Max Huber, Khamis avaient un trop formidable appétit pour se montrer difficiles sur la qualité de la nourriture. Celle-ci, d’ailleurs, était acceptable. Du morceau de buffle, du pain et des bananes, ils ne laissè­ rent que les os et les épluchures. John Cort, alors, questionna le jeune indi­ gène, s’informant si ces Wagddis étaient nom­ breux. « Beaucoup... beaucoup !... J’en ai vu beau­ coup... répondit Llanga. — Comme dans les villages du Bornou ou du Baghirmi ?... — Oui... — Et ils ne descendent jamais ?... — Si... si... pour chasser... pour récolter des racines, des fruits... pour puiser de l’eau... — Et ils parlent ?... — Oui... mais je ne comprends pas... Et pourtant... des mots parfois... des mots... que je connais... comme en dit Li-Mai.