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ANDRÉ LAURIE

LES CHERCHEURS D’OR DE L’AFRIQUE AUSTRALE

COLETTE EN RHODESIA

(La guerre au Transvaal)

PAR
ANDRÉ LAURIE

VIII

Sur le sentier de la guerre.


Vers cinq heures du soir, Colette laissa le piano où elle répétait les airs préférés de sa mère, et, faisant signe à Lina, qui brodait silencieusement près d’elle, de ne pas quitter le salon, elle se disposa à aller au-devant des promeneurs, car il y avait déjà quelque temps qu’elle sentait comme une oppression, un malaise indéfinissable, un désir redoublé de presser dans ses bras sa chère petite fille. Mme Massey, qui paraissait sommeiller, se souleva brusquement aussitôt que les notes cessèrent de vibrer :

« Qu’y a-t-il ? fit-elle d’un ton de somnambule. Est-ce Tottie qui rentre ? Vite, qu’elle vienne !… que je voie son visage de chérubin.

— Non, maman, dit Colette revenant à elle pour l’embrasser tendrement et affectant de ne pas comprendre l’appréhension cachée sous ces paroles. Tottie n’est pas encore revenue ; mais j’avais hâte comme vous de revoir sa petite frimousse et je me disposais à aller à sa rencontre. Vous permettez que je vous quitte un moment, Lina et vous ?

— Oui, oui, dirent ensemble les deux dames. Allez vite, Colette ; va vite, ma fille !… »

À peine fut-elle sortie que Mme Massey attira sur son épaule la tête de Lina, et, éclatant en pleurs :

« Oh ! ma fille ! ma chère petite fille… j’ai le cœur gros !… j’ai le cœur plein de craintes…

— Que craignez-vous, mère chérie ? dit Lina, brave et tendre. Vous qui m’avez tant réconfortée ; vous qui avez remplacé la mère que j’ai perdue si jeune ; qui avez calmé toutes mes terreurs d’enfant, dites-moi les vôtres, je les partagerai ; peut-être saurai-je les dissiper… Et puis nous les épargnerons à Colette, elle qui a déjà tant de responsabilités à soutenir ; nous parlerons ensemble de vos appréhensions et cela les adoucira… Que redoutez-vous, maman ?… Dites-le à votre petite Lina…

— Aujourd’hui, ma chère fille, dit Mme Massey avec effort, mes terreurs sont si noires, si nombreuses, si pesantes, que je saurais à peine par où commencer pour les exprimer. Plutôt faudrait-il me demander : « Y a-t-il un malheur que vous ne craigniez point ?… » Et je crois bien que la réponse serait négative. Oh ! Lina ! il est un désastre, en tout cas, qui n’est plus à craindre, car il m’a atteinte irrémédiablement. Je perds la vue, ma fille, il n’y a plus d’illusion à se faire… Comprends-tu, Lina, l’horreur de ce mot : aveugle ? Sais-tu ce qu’il comporte de désolation, d’amertume, de dépendance, d’isolement ?…

— Oh ! mère ! mère !… s’écria impétueusement la jeune fille, la pressant dans ses bras, couvrant de baisers le beau visage pâle, les cheveux blancs, les tristes yeux voilés ; ne parlez pas ainsi !… Je vous ai demandé de tout me dire ; je suis prête à regarder en face avec vous, pour les combattre, tous les noirs fantômes qui hantent votre cher cœur ; mais je ne veux pas vous laisser dire que vous pourriez être isolée au milieu de nous, ou qu’il vous serait amer de devoir accepter nos soins. Examinons courageusement le malheur que vous craignez. Admettons qu’il est irré-