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À TRAVERS LE SUD ORANAIS

paquets de troupes régulières disséminées, on les remplaça par des groupes de cavaliers indigènes, utilisés moins pour la sûreté que pour la correspondance. Par contre, on fortifia plus solidement Djenien, entamant ainsi la poussée en avant qui s’est accentuée ces tout derniers temps. On lui constitua une garnison assez importante, formée d’une compagnie du 1er bataillon d’Afrique, d’un peloton du 2e spahis, d’un détachement du train et des services. On le relia, au moyen de la télégraphie optique, avec le Djebel-Aïssa, c’est-à-dire avec Aïn-Sefra ; enfin on y installa une annexe de bureau arabe, appuyée sur un fort maghzen[1]. Et on construisit la ligne de pénétration jusque-là.

En 1900, l’occupation des oasis sahariennes amena de nouvelles modifications à ce système de défense. Elles peuvent se résumer dans la création de postes échelonnés sur le chemin d’Igli, tels que Duveyrier-Zoubia qui tient en respect les villages de Figuig, Djenaneed-Dar et d’autres, chargés de servir comme points d’appui aux convois de ravitaillement de la colonne destinée à pénétrer au Touat, et dans la continuation de la voie ferrée, tracée jusqu’à Zoubia, projetée jusqu’à Igli.

Maintenant ce sud-ouest oranais, abrité sûrement contre une attaque de tribus en nombre, se trouve-t-il à jamais débarrassé de tout brigandage ? Non, vraisemblablement, du moins pour quelque temps encore. Plus d’une fois, sans doute, il se commettra des méfaits le long de cette ligne frontière indéterminée, d’où une bande armée peut surgir inopinément, puis se réfugier au Maroc, son coup fait ; — dans le voisinage aussi de cette mystérieuse et, pour nous, inviolable Figuig.

En voici un spécimen de date assez récente :

Un djich[2] terrorisait la contrée. Commandé par un jeune échappé de nos prisons, du nom de Ben Gana, je crois, né au Ksar même d’Aïn-Sefra, il se composait d’un certain nombre de coupeurs de routes appartenant à la tribu marocaine des Amour. S’essayant au début dans de petits vols sans importance, ces malfaiteurs s’enfuyaient prestement au Maroc avec leur butin. Impossible jamais de les joindre. L’impunité exalta leur audace, au point qu’ils osèrent, un jour, enlever, à une faible distance de Djenien, les troupeaux du maghzen. Aussitôt prévenus par les bergers, nos cavaliers sautent en selle et s’élancent à la poursuite du djich, mais ne parviennent à l’approcher que dans la montagne. Comme ils s’aventurent sans prudence, une décharge subite, tirée de derrière les pierres, arrête leur élan. Quatre des leurs tombent, parmi lesquels le chef du maghzen lui-même, un vieux serviteur, décoré de la médaille militaire. Simplement contusionné, celui-ci essaie de se relever, lorsque soudain, au-dessus d’un rocher, se profile la silhouette de Ben Gana. « Les Français, crie le brigand, t’ont donné une médaille parce que tu t’es battu pour eux. Tiens, regarde mon fusil, il me vient de Bou Amema seulement, et pourtant il va te tuer. » Après quoi, en ricanant, il étend le blessé raide mort d’un coup tiré en pleine poitrine.

Surpris dans une position désavantageuse, les mghaznias doivent, pour ne pas se laisser décimer, abandonner le terrain. Lorsqu’ils reviennent, peu après, au même endroit, ils n’y retrouvent plus que les cadavres essorillés de leur chef et de leurs trois camarades. La bande avait gagné le Maroc. Il est douteux que Bou Amema, qui sollicitait déjà l’aman du gouvernement français, l’ait félicitée ouvertement. En tout cas, une semaine plus tard, on ramassait, près de la porte d’un des villages de Figuig, le corps de Ben Gana, troué de balles.

L’événement se passa en 1897 ; il serait peut-être impossible aujourd’hui. Mais de pareils faits, isolés, n’empêcheraient pas nos Ksouriens et nos tribus de reprendre confiance, lorsque surtout sera calmée, — chez les Beraber et dans le Zegdou marocain, — l’effervescence amenée par les incidents qui se sont récemment déroulés au Touat et au Gourara.

  1. Maghzen, réunion des cavaliers indigènes, ou mghaznias, au service d’un bureau arabe.
  2. Djich, bande armée pour le vol.