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« Vois comme elle se dépêche ! » fit remarquer Irène.

Et elle raconta à son amie les chagrins de la jeune campagnarde.

« Si nous l’aidions pour de bon ? proposa Nad, nous augmenterons toujours un peu sa récolte.

— Quelle excellente idée, je vais chercher un panier et prévenir tante Dor. »

Irène revint en courant :

« Ma tante a haussé les épaules et répondu : « Faites comme vous voudrez » : cela signifie qu’elle trouve notre idée très bonne.

— Tu crois ?

— J’en suis certaine, c’est sa manière de m’approuver, te dis-je, je l’ai lu dans ses yeux.

— Vite à l’ouvrage, alors !… Ici, Morilo, tu as chagriné Thérésine, il faut travailler pour elle. »

L’intelligent caniche fit entendre un léger grognement (c’était aussi sa manière d’approuver), puis il vint se ranger près des deux amies, tenant le panier dans sa gueule et recevant adroitement les fleurs qu’elles cueillaient. Leurs quatre petites mains s’employaient à la besogne et, chose remarquable, leurs langues n’en marchaient que mieux :

« Pauvres fleurs ! soupira Nadine tout en cueillant ; elles étaient si heureuses dans leur champ au beau soleil !

— Bah ! répliqua Irène, elles finiraient par se faner tout de même sur la plante sans profit pour personne, tandis qu’ainsi elles aident beaucoup de gens à vivre : d’abord ceux qui les cultivent, puis les femmes qui font la cueillette, les distillateurs comme le cousin Brial et leurs ouvriers, puis encore les marchands qui vendent la parfumerie… Je suis sûre que, si j’étais une petite violette, je préférerais être cueillie et donner mon parfum que de sécher comme une égoïste dans un champ.

— Tu as raison ; mère dit souvent que nous devons être utiles aux autres, mais les fleurs ne peuvent pas raisonner comme nous… Sais-tu comment on s’y prend pour extraire leur parfum ? Je crains de ne pas comprendre grand’chose en visitant la distillerie ; Marthe a voulu me renseigner, mais elle embrouille tout.

— Ce n’est pourtant pas difficile : chez le cousin Honoré tu verras de grands cadres de bois garnis de fil de fer au milieu ; sur ces fils les ouvriers étendent des toiles de coton trempées dans de l’huile d’olive très pure…

— De l’huile ?… Pouah ! c’est gras !

— Justement, tante Dor m’a expliqué que les corps gras s’imprègnent très vite des parfums. On sème les violettes sur les toiles huilées et on empile les cadres remplis les uns sur les autres. Tous les trois jours, quand on remplace les fleurs fanées par des fraîches, elles ont laissé leur parfum dans l’huile. À la fin, on porte les toiles dans un autre atelier ; les ouvriers les pressent pour en faire sortir l’huile parfumée qui tombe dans des vases d’alcool…

— Je devine, dit Nad, qui avait écouté attentivement, l’huile parfume l’alcool.

— Oui, mais ce n’est pas fini : on distille l’huile et l’alcool pour les séparer, l’huile reste sans odeur au fond de l’alambic, et le parfum mêlé à l’alcool devient de l’extrait de violettes qui se vend très cher.

— À la bonne heure ! comme cela je comprends… et quand il n’y aura plus de violettes à cueillir, que fera-t-on ?

— Nous cueillerons la cassia, le jasmin, l’héliotrope et la fleur d’oranger qui se montre tout à la fin ; mais on n’extrait pas les parfums de toutes les fleurs par « enfleurage » comme je viens de t’expliquer, c’est seulement pour la violette, le réséda, le jasmin, l’iris qu’on ne peut pas distiller. Il y a d’autres fleurs qu’on écrase et qui sont mises tout de suite dans l’huile chaude. »

Nad hocha la tête d’un air satisfait :

« Quand je disais l’autre jour que tu pouvais m’apprendre beaucoup de choses ! avais-je raison ? Mais, quand tu viendras à Paris, ce sera mon tour de te montrer du nouveau. »

Irène, levant les bras avec un grand soupir, s’écria :

« À Paris ! je n’irai jamais, ma pauvre Nad, c’est trop loin pour que Vol-au-Vent m’y con-