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A. MOUANS

Ils retournèrent à leurs lignes, et « ça mordit » si bien qu’en moins d’une heure et demie le panier de Nanette contenait la plus jolie collection de poissons de roche qu’un amateur de bouillabaisse puisse rêver.

Bientôt on accosta. Pendant que Louis amarrait le bateau, sa mère débarqua les provisions. Quel plaisir nouveau et inconnu de l’heureuse Irène que les apprêts de ce repas en plein air !… Sur la plage, Raybaud creusa un trou dans le sable, le garnit de pierres ; sa femme alluma le feu, et la « pignate » destinée aux poissons ne tarda pas à chanter sur ce fourneau improvisé. Norbert et la fillette se chargèrent de préparer la salle à manger sous un beau pin parasol, à la lisière du bois qui couvre une partie de l’Île. Un pâté doré, du vin frais, d’excellent nougat noir complétaient le régal, auquel les convives firent honneur, la traversée leur ayant singulièrement ouvert l’appétit.

« Irène, demanda le jeune garçon, comment faisiez-vous au bord de la Foux pour tenir votre langue, qui est si bien pendue ? »

Elle secoua la tête :

« Oh ! ce n’est pas très difficile de se taire avec ceux qui ne vous aiment pas… et vous ne m’aimiez pas, dites, Norbert ; vous me détestiez presque…

— Non, non ; mais je suis ravi que nous nous connaissions mieux !

— Et moi donc ! »

Le repas terminé, Norbert voulut montrer à sa cousine la fameuse allée d’eucalyptus géants, qui mène à la maison forestière ; puis, il fallut revenir à la Provence, qui glissa de nouveau sur la mer d’azur, ramenant nos amis au port. Les enfants convinrent de nouveau qu’ils se verraient près de la Foux-aux-Roses, et ce fut l’esprit plein de ce projet qu’Irène donna une dernière poignée de main à son cousin. Accompagné de Raybaud, celui-ci, aussitôt, débarqué, courut au chemin de fer rejoindre M. Brial.

« Ah ! la belle, la délicieuse journée ! répétait la fillette, que Nanette emmenait vers la demeure de Louis ; quel dommage que la pauvre tante Dor n’ait pas pu en jouir !

— Misé Raybaud, une lettre pour la petite demoiselle ; le facteur me l’a confiée », cria une voisine, au moment où elles rentraient.

Elle remit à l’enfant une enveloppe sur laquelle s’étalait la grande écriture de la tante Dorothée.

« C’est de ma tante ; Misé, écoutez », dit Irène.

Et elle lut tout haut :


« Ma chère Irène, voilà déjà le quatrième jour que tu es loin. Marie-Louise me rompt la tête avec ses histoires, sous prétexte que tu n’es pas ici pour l’écouter ; Caprice te cherche et miaule sans cesse ; tes oiseaux s’envolent dès qu’ils ont mangé, parce qu’ils ne te voient plus. Mais tu sais que je suis ferme ; j’étais décidée, malgré cela, à te laisser en exil jusqu’à ce que tu eusses promis de ne plus pleurnicher. Si je change d’avis, c’est uniquement pour faire plaisir à Mme Jouvenet, qui est fort aimable, et à cette petite Nadine, qui raisonne mieux que toi ! Prie donc Nanette de te ramener le plus tôt possible ; j’irai te chercher demain matin à la gare, et, une autre fois, ne t’avise pas de pleurer, car, je t’en préviens, je serai plus ferme que jamais !

« Ta tante,
« Dorothée Lissac. »


« C’est tout de même drôle, Misé, dit Irène après avoir fait le tour de la chambre en dansant, tante Dor répète toujours qu’elle est ferme, et, quand elle s’est fâchée très fort, elle finit par m’accorder ce que je désire, comprenez-vous cela ? »

Nanette embrassa l’enfant et répondit en souriant :

« Oui, je le comprends, parce que je connais Mlle Dorothée depuis sa jeunesse ; c’est avec sa tête qu’elle se fâche, tandis que c’est son cœur qui cède… et, comme vous avez ce cœur-là tout entier, ma belle pichoune, vous pourrez obtenir d’elle des choses bien plus difficiles que de voir cette petite Nadine…

— Plus difficiles ?…

— Comme de faire la paix avec M. Honoré…