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ANDRÉ LAURIE

— Ce sera difficile, après le désastre de Massey-Dorp, mais pourtant, si vous m’en donniez mandat, colonel…

— Non, Benoni : pas de mandat ! Rien de tel… Je répète que je ne vous connais pas… mais je ne dis pas qu’une troupe d’élite, amenée comme par hasard aux environs de Boulouwayo, n’y aurait pas son emploi. Tout dépend des circonstances et de la composition même de la troupe…

— Compris, colonel. Vous aurez ce qu’il vous faut, ou je ne m’appelle pas Benoni !… »

Le Levantin partit rejoindre dans la rue Ibrahim qui gardait les deux poneys, et se rendit avec lui dans une auberge voisine, pour déjeuner à fond avant de reprendre le chemin du Veldt.

Des soldats anglais étaient là, buvant du whiskey et de l’eau de seltz qu’ils jouaient aux dés. Ils parlaient de la guerre déclarée par les Boers, disant qu’ils n’avaient jamais vu folie pareille. Que pouvait cette poignée de paysans contre la Grande-Bretagne ? Ces vingt-cinq ou trente mille hommes, contre la nation la plus nombreuse et la plus riche du globe ?… Tout au plus faire un simulacre de résistance… Cerner deux ou trois villes, jusqu’au moment où les renforts envoyés d’Europe auraient débarqué à Durban ou Tablebay… Et alors, adieu, messieurs les Boers !…on les mettrait à la raison. On n’en ferait qu’une bouchée…

Ainsi parlaient-ils, dans leur tranquille fatuité de soldats bien nourris, bien vêtus, bien payés. Et Benoni, qui n’avait pourtant pas l’âme militaire, pensait comme eux que l’Angleterre est riche et que les Boers ne le sont pas.

« Croyez-vous que la guerre s’étende jusqu’ici ? de manda-t-il à l’un des buveurs, tout jeune homme très faraud sous son uniforme de dragon battant neuf et son petit bonnet rond, à bande jaune.

— Ici, en Rhodesia ?… répondit le soldat en toisant dédaigneusement le pékin. Ce n’est pas probable, quoiqu’on parle d’un commando boer sur la frontière de l’est. Nous attendons d’un moment à l’autre, l’ordre de partir sur Kimberley… »

André Laurie.

(La suite prochainement.)