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COLETTE EN RHODESIA

Français qui a déjà refusé de nous la céder, comme il l’a refusé d’ailleurs au président Krüger… Nous ne saurions y toucher sans provoquer des complications internationales.

— Ce que vous ne pouvez pas faire officiellement, je le puis, moi ! insinua Benoni. Il suffit de m’en fournir les moyens !…

— Quels moyens ?…

— Mais… de l’argent !… De bonnes guinées, pour former une troupe indépendante, enlever la poudre et vous l’apporter…

— Ah ! nous y voici. C’est de l’argent que vous voulez, maître Benoni ?… Eh bien ! entendez-moi. Je sais qui vous êtes, mieux que vous ne pensez, et vos antécédents ne me sont point inconnus… C’est vous dire que vous n’aurez pas un penny d’avance !… Donnant, donnant… arrangez-vous pour enlever la poudre et me l’apporter. Sur livraison, vous aurez… combien demandez-vous ?

— Dix mille livres sterling.

— Vous aurez dix mille livres. Je ne suis pas homme à marchander. Mais entendez-moi bien… Je ne vous ai chargé d’aucune mission et ne vous connais point. Au besoin, je vous désavouerai… Au besoin, je vous ferai pendre !… ajouta cyniquement le colonel, avec un sourire macabre qui montra entre ses lèvres deux rangées de dents de carnassier.

— C’est bien ainsi que je le comprends, répondit humblement le Levantin… Je m’empare de la poudre K, je vous l’apporte et je vous la livre ; sur quoi, vous me faites compter le prix convenu, mais jusqu’à ce moment j’agis sous ma responsabilité personnelle et je me charge de tout…

— Bien entendu, sans effusion de sang, ni violences, car je ne vous couvrirai pas, en cas de plainte.

— Sans effusion de sang, ni violences, » répéta docilement Benoni.

Il pivotait sur ses talons pour se retirer après avoir salué jusqu’à terre. Le colonel l’arrêta d’un geste :

« Ces Basoutos et ces Matabélés qui ont été tués faisaient partie de la bande que vous aviez formée à Leinspruck ?… Par quelles ressources pouviez-vous entretenir ces hommes ?

— Je leur faisais espérer du service dans l’armée de Sa Majesté. Pour la plupart, récemment sortis des mines ou des cultures européennes, ils avaient encore quelques shillings.

— Que vous vous chargiez d’échanger contre de l’eau-de-vie de pommes de terre, n’est-ce pas, maître Benoni ?… Si bien, qu’au lieu d’être payés par vous, c’est à votre escarcelle que les malheureux apportaient une solde quotidienne !… Vous êtes un habile homme !… Mais expliquez-vous sur ce point : Au moment de l’affaire de Massey-Dorp, étiez-vous vraiment avec cette bande en route pour Boulouwayo ?

— Assurément, colonel.

— Vous veniez me proposer d’enrôler ces noirs ?

— Oui, colonel.

— Vous savez pourtant que, par un accord tacite avec les gens du Transvaal, nous n’avons de part ni d’autre recours aux levées indigènes.

— Je le sais, colonel, et, à vrai dire, je ne le comprends guère, puisque de part et d’autre les soldats manquent… Les Matabélés, les Basoutos et surtout les Zoulous feraient, en peu de temps, d’excellentes troupes.

— Qui prendraient goût à la lutte contre le blanc et, à peine armés, se tourneraient contre lui pour l’exterminer, sans s’inquiéter de savoir s’il est Boer ou Anglo-Saxon.

— Ce n’est pas certain.

— C’est, en tout cas, assez probable pour que l’armement des indigènes ne soit toléré par aucun homme de race européenne, dans toute l’Afrique australe. Le parti qui oserait l’essayer se mettrait à dos l’opinion publique.

— Sans armer les noirs, si la chose est jugée périlleuse, il serait toujours possible de les employer aux transports de l’armée, aux travaux pénibles, à la police. C’est pourquoi j’avais songé à vous amener une troupe de choix.

— Peut-être aviez-vous raison ! C’est une chose à considérer. Comptez-vous reformer votre bande ?