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PAUL ROLAND

LE GRAND TAMBOUR



Souvarna-Bahou est un puissant monarque indien. Ses victoires sont célèbres, ses trésors abondants, sa sagesse vantée dans l’Inde tout entière.

Cela ne suffit pas à Souvarna-Bahou.

« Ma gloire m’accompagne partout, mais elle ne me précède pas, songe-t-il. Quand je traverse mon royaume, c’est à peine si mes musiciens m’annoncent d’un village à l’autre. La Renommée n’a pas assez de ses cent voix pour m’acclamer. »

Souvarna-Bahou est ambitieux. Il est orgueilleux et son orgueil lui souffle une idée bizarre.

« Qu’on assemble sur l’heure mes officiers… mes musiciens et les brahmes les plus sages de la ville… qu’ils soient aussitôt tous introduits devant moi. »

Il dit, et déjà l’ordre royal est crié dans les rues ; le son des trompes le porte jusqu’aux faubourgs de Calinga-Dessa.

De tous côtés, officiers, brahmes et musiciens affluent au palais.

Ils s’interrogent :

« Que nous veut notre glorieux souverain ?… Est-ce une nouvelle conquête qui l’attire ?… Ou bien quelque fête brillante qu’il désire organiser ?… »

Intrigués, ils se hâtent, émettant chacun un avis différent.

Mais lorsqu’ils pénètrent dans les vastes et superbes salles du palais, les sujets de Souvarna-Bahou gardent un respectueux silence.

Le souverain est là, sur son trône éblouissant de pierreries.

Inquiets, les esclaves contemplent le visage soucieux du maître tout en agitant l’air au balancement de leurs gigantesques éventails de plumes.

« Qui de vous veut mériter mes plus hautes faveurs ?… » demanda le roi.

À cette question, un frémissement courut sur l’assemblée.

Chacun interrogea du regard les traits du souverain, cherchant à y lire le secret.

Souvarna-Bahou poursuivit :

« Il me faut, dit-il, un tambour comme jamais il ne s’en est vu. Un tambour si grand, à la voix si éclatante, que ses roulements soient entendus à cent lieues à la ronde. »

À ces mots, la consternation voila tous les visages.

« Qui de vous se sent capable de construire cet instrument dont le son portera l’écho de ma gloire aux quatre coins du royaume ? »

Nulle voix ne répondit.

D’un regard inquiet le roi scruta la foule amassée au pied de son trône.

« Personne ne voit le moyen de me satisfaire ? reprit-il. Réfléchissez. À celui qui m’apportera ce tambour, je ne refuserai rien. Il deviendra mon ami le plus cher, je le comblerai de biens et d’honneurs… Il s’assiéra à ma droite et je partagerai mes richesses avec lui. »

Un souffle de convoitise passa dans tous les cœurs, agita toutes les lèvres… mais pourtant personne ne répondit à l’appel du souverain.

Un tambour capable de résonner à cent lieues à la ronde !… quel homme pouvait, à moins d’être sorcier, imaginer semblable instrument ?…

Il fallait que le roi eut l’esprit bien affaibli pour réclamer une telle absurdité.

« Personne ne se présente ? » reprit une seconde fois le roi dépité.

En cet instant, une poussée se produisit dans la foule… on entendit des chuchotements.

Souvarna-Bahou distingua ces mots à peine murmurés :

« Place à Kandou, général en chef des armées de sa Majesté. »

Kandou était un brave soldat, entièrement dévoué à son souverain et aimant secourir les affligés et les humbles.