et remercia si gentiment le garde et sa femme que celle-ci demanda la permission de l’embrasser.
Le chaud soleil de Provence commençait à s’incliner vers l’horizon, lorsque, escortée cette fois de Misé Raybaud et de son mari, elle quitta la forêt.
« Coupons au plus court, dit ce dernier ; vous manœuvrez assez bien sur la mule pour naviguer dans les sentiers en lacet.
— Voulez-vous que je chante pour que le chemin paraisse moins long ? demanda la fillette.
— Certainement ; un petit bout d’air, ça fait toujours plaisir ; allez, ma jolie pichoune, on vous écoute. »
Et Irène entonna de sa voix fraîche un Noël ancien, bien connu des gens du pays :
Salut ! ô sainte crèche,
Berceau du Roi des rois,
Faite de paille fraîche
Et de mousse des bois !
Nous sommes les Rois mages,
Nous, de pauvres pasteurs,
Nous t’offrons nos hommages !
Nous te donnons nos cœurs ! etc.
Après ce vieux chant, une ronde suivit ; puis un gai refrain en provençal. Irène battait la mesure sur l’encolure de la mule. En approchant de la Foux-aux-Roses, on croisa une route plus large. Tout à coup la chanteuse se tut : dans une élégante charrette, que traînait un poney, elle venait d’apercevoir, à côté d’une dame jeune et pâle, une robe bleue et les longues boucles claires tant rêvées.
Le petit cheval s’éloignait au trot ; pourtant, la jeune femme se retourna en souriant :
« Une charmante enfant, fit-elle ; quels yeux superbes et fiers !… Eh bien ! qu’est-ce qui te prend, ma fille ? »
Nadine, debout près d’elle, agitait son mouchoir et regardait en arrière.
« Oh ! maman chérie, c’est Irène Lissac, la petite fille de la Foux-aux-Roses. Tu vois que papa avait raison de dire, qu’elle était gentille. Moi, je t’ai demandé la permission de retourner la voir, et tu m’as répondu : « Nous verrons !… » Tu t’en souviens ?
— Sans doute ; je t’ai répondu ainsi parce que je suis toujours disposée à te faire plaisir ; mais, en y réfléchissant, cela m’a paru difficile… Sous quel prétexte pourrais-tu te présenter chez cette vieille demoiselle ? Elle vous a fort bien reçus, mais sans vous prier de renouveler votre visite.
— Un prétexte ! est-ce qu’il y en a besoin ? Une bonne raison vaut mieux, et elle est toute trouvée si nous expliquons simplement à Mlle Lissac que j’ai bien envie de voir souvent sa nièce. »
Mme Jouvenet donna une tape amicale sur la joue de sa fille :
« Voilà une petite femme qui sait aplanir les difficultés, dit-elle gaiement.
— Oh ! merci, chère maman : je lis dans tes yeux que tu ne dis plus non. »
Et Nadine caressa tendrement la main de sa mère.
Pendant que toutes deux causaient ainsi, Irène poursuivait son chemin. Elle avait interrompu son chant à peine deux secondes pour suivre des yeux la voiture qui s’éloignait ; mais, comme la mule était déjà rentrée dans le sentier que traversait la route avant que Nadine se fût avisée d’agiter son mouchoir, elle n’en vit rien.
« Té ! fit Misé Raybaud étonnée, vous ne savez plus le reste de ce joli refrain ?
— Au contraire, c’est celui que je chante le plus souvent à tante Dor. Écoutez. »
Quoique son cœur battît encore d’émotion, la brave petite entonna de nouveau l’air provençal.
Peu après, on arriva à la bastide Lissac. Les Raybaud laissèrent Irène devant la barrière ouverte du jardin et s’en allèrent, contents de lui avoir procuré un bon après-midi de plaisir.
« Vois-tu, femme, disait le marin d’un ton convaincu, elle est fine, cette petite ; elle raisonne sur l’histoire de la Foux comme Mlle Lissac aurait besoin de le faire pour se réconcilier avec ses parents. »
La vieille demoiselle venait elle-même de rentrer lorsqu’elle vit apparaître sa nièce toute rose du grand air qui avait caressé ses joues.