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EN FINLANDE

grandiose et pathétique, que celui de cette terrible lutte entre l’homme et l’ingrate nature.

Parfois l’homme est vainqueur. Une ferme s’élève, là où les bêtes farouches de la sauvage forêt erraient seules quelques années auparavant, des champs verdoient sur l’emplacement des marécages enfiévrés, des troupeaux paissent les prés verts qui ont remplacé les mousses et les lichens, une nombreuse famille est venue entourer les hardis travailleurs. C’est le bonheur. Par contre, que de fois l’homme est vaincu ; terrassé par les fièvres, il abandonne l’entreprise, ou meurt. Mais, même alors, ses efforts n’ont point été vains, puisqu’il a facilité la tâche de ses successeurs.

Assise dans le train qui m’emportait auprès de mes bien-aimés parents, l’esprit plein de visions enchanteresses des bonheurs que me réservaient les fêtes de Noël, je me pris à penser à la manière dont, lentement, s’est formé notre pays ; à la manière dont, tous les jours, s’avancent vers le Pôle les terrains cultivés, habités ; à l’âpre ténacité dont a fait preuve notre race pour tirer quelque chose d’un sol si rebelle, et mon cœur envoya un salut reconnaissant à nos ancêtres, un tribut d’admiration à nos braves paysans qui, au prix de mille souffrances, arrivent à se « frayer de la place au soleil », à la vie.

Ces réflexions, un peu âgées pour une fillette comme moi, m’étaient venues tout naturellement à la suite d’une lecture que Mlle Mathilde nous avait faite en classe, de nouvelles d’un jeune auteur finlandais[1] qui, employant la langue du peuple, a si bien su exprimer le sentiment, l’âme finnoise.

Assise en face de moi, Hélène, de son côté, lisait des contes de notre poète Z. Topelius, contes allégoriques qui nous passionnent tous, petits enfants et grandes personnes. Il est vrai que Topelius dépeignait d’avance son œuvre, quand il déclarait : « Pour les enfants, l’exquis n’est pas encore assez bon. »

« À quoi penses-tu ? » me demanda ma compagne de route, ayant fini sa lecture avec un soupir de regret.

Je lui résumai mes réflexions.

« Oh ! mais, c’est loin de nous ces mœurs-là, dit-elle.

— Pas si loin que cela, lui répondis-je, il y en a tous les jours encore. Je le sais bien ; ma tante a eu une servante qui a épousé un des garçons de ferme, et ils s’en sont allés tous les deux dans la forêt l’an passé.

— C’est parce que tu habites bien plus au nord que mes parents, que tu es si au courant. »

Hélène disait vrai. Notre cher petit lac, avec son tout petit village, se trouvait au nord de la Finlande, du côté de Kuopio.

« Moi, déclara Hélène, au moment où je m’y attendais le moins, mon rêve serait d’aller à Helsingfors dans quatre ans et d’être tresseuse de couronnes. »

Je souris. Quatre ans, c’est long pour une fillette de l’âge d’Hélène.

« Ma sœur l’a été cet été, tresseuse de couronnes, ajouta Hélène, et elle m’a raconté la fête. C’était pour mon cousin Otto. Il a été reçu docteur en… en filoselle. »

Cette fois, malgré tout mon désir de ne point froisser l’enfant, je ne pus réprimer un éclat de rire.

« Docteur en philosophie, veux-tu dire. »

Elle fit la moue, mais bientôt :

« J’ai si envie d’être tresseuse de couronnes, ajouta-t-elle.

— Tu n’as pas l’âge », lui dis-je.

Ceci demande explication. Chez nous, les jeunes étudiants ont tous les quatre ans, à peu près, une grande fête publique pour célébrer l’obtention des diplômes ès arts et de docteur. C’est une grande solennité, une fête générale pour tout le pays, une joie sans pareille pour les mamans et les sœurs des lauréats qui y assistent, parées de leurs plus beaux atours.

Hélène, mise au courant par sa sœur, me raconta avec volubilité une foule de détails que je n’ignorais pas, car nos cœurs finlandais sont très attachés aux vieilles coutumes, et celle-là remonte aux temps anciens de

  1. Juhani Aho.