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LE BAS PERCÉ.

tomber de petites avalanches du haut des sapins rien qu’en s’y posant. On eût dit que le vent, pour se réchauffer, s’était réfugié dans le tuyau de la cheminée, et y jouait gaiement avec les autres courants d’air. Le jour baissait, et les enfants causaient entre eux des cadeaux qu’ils espéraient.

« Vous verrez ce que Noël m’apportera, dit Ethel à ses frères et sœurs, dont elle était l’aînée, il y a si longtemps que je suis sage !

— Oui, grogna la nourrice, drôle de sagesse qui consiste à tripoter la neige avec vos mains couvertes d’engelures et couleur de betterave. »

Ethel se mit à rire.

« Certainement, le bonhomme Noël ne m’oubliera pas ! reprit-elle, retournant au chapitre des présents

— Le bonhomme Noël n’existe pas ! affirma son frère Alfred, qui prétendait à l’esprit fort.

— Oh ! que si, répondit sa sœur. Sans cela, comment les joujoux et les bonbons auraient-ils été mis dans nos bas, l’année dernière, quand tout le monde dormait ? Vous pourriez en suspendre des bas, en dehors de vos portes, autant qu’il vous plairait, à toute autre époque de l’année, sans rien trouver dedans… Je suis certaine qu’il vient, du moins pour les enfants.

— Cependant personne ne l’a jamais vu, reprit Fred, excepté sur les images, et les images ne sont pas toujours des représentations de la vérité, pas même les photographies. Je me suis fait tirer au bord de la mer l’été dernier, le photographe m’a fait trois nez et six mains.

— En réalité, nous ne le voyons pas, continua Ethel… les lumières sont éteintes. Il arrive dans l’obscurité, comme les voleurs ; mais au lieu d’emporter l’argenterie, il laisse des cadeaux sur son passage. »

Ces paroles éveillèrent le plus vif intérêt parmi les jeunes frères et sœurs de la fillette, et comme ils se groupaient autour d’elle pour lui demander d’autres détails, elle ne les leur marchanda point :

« Il a un beau carrosse ; du moins, c’en serait un, s’il avait des roues… Un carrosse sans roues s’appelle un traîneau, et ça glisse sur la neige mieux que sur le pavé le plus uni. Ce sont des rennes qui y sont attelés. Il les conduit dans le monde entier. Ces nobles bêtes s’arrêtent d’elles-mêmes à chaque maison, comme le fait le cheval de notre laitier. Il transporte plus de jouets qu’il n’y en a dans toutes les boutiques de Londres et de Paris. Ces jolies choses poussent aux branches des sapins de son pays, qui est couvert de forêts d’ « arbres de Noël », sur lesquels il se livre à sa cueillette pendant trois cent soixante-quatre jours, afin d’être prêt pour la nuit qui précède le trois cent soixante-cinquième.

— Un charmant vieux gentleman, Ethel, s’écria le sceptique Alfred ; je pensais qu’il visitait seulement les enfants sages.

— Sans doute, répliqua la fillette, mais tous les enfants sont sages, à Noël. »

Comme c’était la veille du grand jour, on avait reçu de nombreuses visites. On joua à toutes sortes de jeux, surtout à celui de colin-maillard. Ce fut une joie de voir le vieil oncle John s’échauffer en courant, de peur d’être pris par le plus petit des enfants, ou, les yeux bandés, se heurter aux dossiers des chaises et des sofas, et embrasser le domestique qui apportait du charbon de terre pour la cheminée. Ensuite, on dansa, et l’oncle John, de plus en plus échauffé, sauta gaiement avec bébé, brouillant les figures, tandis que maman au piano jouait de plus en plus vite, et que le vieux recteur en cheveux blancs souriait à tout cela, en dégustant sa tasse de thé.

Enfin, l’heure du coucher des enfants sonna. Nourrice réunit son petit troupeau. On se passa de main en main la dernière née, tout ensommeillée, pour l’embrasser. Un joyeux désordre régna quelques instants sur le palier, puis, dans l’escalier, le rire s’éteignit par degrés, et les grandes personnes restées au rez-de-chaussée se mirent à table pour souper.

En haut, selon la coutume anglaise, on sus pendit les bas des enfants, jusqu’aux mignons souliers de laine de bébé, et tout ce petit monde ne tarda pas à s’endormir.