Page:Maeterlinck - Les Parfums, paru dans Le Figaro du 1er mars 1907.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

liquide, avant d’être repu, absorbe quatre fois son poids de pétales, ce qui fait que l’ignoble torture se prolonge durant toute la saison où les violettes s’épanouissent sous les oliviers.

Mais le drame n’est pas terminé. Il s’agit maintenant, qu’elle soit chaude ou froide, de faire rendre gorge à cette graisse avare qui entend retenir, de toutes ses énergies informes et évasives, le trésor absorbé. On y réussit non sans peine. Elle a des passions basses qui la perdent. On l’abreuve d’alcool, on l’enivre, elle finit par lâcher prise. À présent c’est l’alcool qui possède le mystère. À peine le détient-il qu’il prétend, lui aussi, n’en faire part à personne, le garder pour soi seul. On l’attaque à son tour, on le tourmente, on l’évapore, on le condense, — et la perle liquide, après tant d’aventures, pure, essentielle, inépuisable et presque impérissable, est enfin recueillie dans une ampoule de cristal.

Je n’énumérerai pas les procédés chimiques d’extraction, — aux éthers de pétrole, au sulfure de carbone, etc. Les grands parfumeurs de Grasse, fidèles aux traditions, répugnent à ces pratiques artificielles et presque déloyales qui ne donnent que d’âcres aromes et froissent l’âme de la fleur.


Maurice Maeterlinck.