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jonquille, le réséda, la tubéreuse et le jasmin. — Remarquons en passant que le parfum du jasmin est le seul qui soit inimitable, le seul qu’on ne puisse obtenir par le savant mélange d’autres odeurs.

On étale donc un lit de graisse épais de deux doigts sur de grandes plaques de verre, et le tout est recouvert d’une couche de fleurs. À la suite de quelles papelardes manœuvres, de quelles onctueuses promesses la graisse obtient-elle d’irrévocables confidences ? Toujours est-il que bientôt les pauvres fleurs trop confiantes n’ont plus rien à perdre. Chaque matin on les enlève, on les jette aux débris, et une nouvelle jonchée d’ingénues les remplace sur la couche insidieuse. Elles cèdent à leur tour, souffrent le même sort ; d’autres et d’autres les suivent. Ce n’est qu’au bout de trois mois, c’est-à-dire après avoir dévoré quatre-vingt-dix générations de fleurs, que la graisse avide et captieuse, saturée d’abandons et d’aveux embaumés, refuse de dépouiller de nouvelles victimes.

La violette, elle, résiste aux instances de la graisse froide ; il faut qu’on y joigne le supplice du feu. On chauffe donc le saindoux au bain-marie. À la suite de ce barbare traitement, l’humble et suave fleur des routes printanières perd peu à peu la force qui gardait son secret. Elle se rend, elle se donne, et son bourreau