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ment mentionné dans les poèmes grecs et latins et dans la littérature hébraïque. Aujourd’hui, voyons-nous nos paysans, même dans leurs plus longs loisirs, songer à respirer une violette ou une rose ? N’est-ce pas, au contraire, le premier geste de l’habitant des grandes villes qui découvre une fleur ? Il y a donc quelque sujet d’admettre que l’odorat soit le dernier-né de nos sens, le seul peut-être qui ne soit pas « en voie de régression », comme disent pesamment les biologistes. C’est une raison pour nous y attacher, l’interroger et cultiver ses possibilités. Qui dira les surprises qu’il nous réserverait s’il égalait, par exemple, la perfection de l’œil, comme il fait chez le chien qui vit autant par le nez que par les yeux ?

Il y a là un monde inexploré. Ce sens mystérieux qui, au premier abord, paraît presque étranger à notre organisme, à le mieux considérer est peut-être celui qui le pénètre le plus intimement. Ne sommes-nous pas, avant tout, des êtres aériens ? L’air ne nous est-il pas l’élément le plus absolument et le plus promptement indispensable, et l’odorat n’est-il pas justement l’unique sens qui en perçoive quelques parties ? Les parfums qui sont les joyaux de cet air qui nous fait vivre ne l’ornent pas sans raison. Il ne serait pas surprenant que ce luxe incompris répondît à quelque chose de très profond et de très essentiel, et plutôt, comme nous venons de le voir, à quelque chose qui n’est pas encore qu’à quelque chose qui n’est plus. Il est fort possible que ce sens, le seul qui soit tourné vers l’avenir, saisisse déjà les manifestations les plus frappantes d’une forme ou d’un état heureux et salutaire de la matière qui nous réserve bien des surprises.

En attendant il en est encore aux perceptions les plus violentes, les moins subtiles. À peine s’il soupçonne, en s’aidant de l’imagination, les profonds et harmonieux effluves qui enveloppent évidem-