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plus naturelle ; mais ne serait-ce pas, au fond, par la raison bien simple qu’elle n’explique presque rien ? Je passe sur les erreurs matérielles de cette page ; mais s’accommoder ainsi, en se nuisant le moins possible, des nécessités de la vie commune, cela ne suppose-t-il pas une certaine intelligence, qui paraîtra d’autant plus remarquable qu’on examinera de plus près de quelle façon ces « dix mille individus » évitent de se nuire et arrivent à s’aider ? Aussi bien n’est-ce pas notre propre histoire ; et que dit le vieux naturaliste irrité qui ne s’applique exactement à toutes nos sociétés humaines ? Notre sagesse, nos vertus, notre politique, âpres fruits de la nécessité que notre imagination a dorés, n’ont d’autre but que d’utiliser notre égoïsme et de tourner au bien commun l’activité naturellement nuisible de chaque individu. Et puis, encore une fois, si l’on veut que les abeilles n’aient aucune des idées, aucun des sentiments que nous leur attribuons, que nous importe le lieu de notre étonnement ? Si l’on croit qu’il est imprudent d’admirer les abeilles, nous admirerons la nature, il arrivera toujours un moment où l’on ne pourra plus nous arracher notre admiration et nous ne perdrons rien pour avoir reculé et attendu.