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à peu près immobile, mais non pas inactive, sur les rayons, à la place qui lui est assignée par son genre de travail. Maintenant, affolées, elles se meuvent en cercles compacts du haut en bas des parois verticales, comme une pâle vibrante remuée par une main invisible. La température intérieure s’élève rapidement, à tel point, parfois, que la cire des édifices s’amollit et se déforme. La reine, qui d’habitude ne quitte jamais les rayons du centre, parcourt éperdue, haletante, la surface de la foule véhémente qui tourne et retourne sur soi. Est-ce pour hâter le départ ou pour le retarder ? Ordonne-t-elle ou bien implore-t-elle ? Propage-t-elle l’émotion prodigieuse ou si elle la subit ? Il paraît assez évident, d’après ce que nous savons de la psychologie générale de l’abeille, que l’essaimage se fait toujours contre le gré de la vieille souveraine. Au fond, la reine est, aux yeux des ascétiques ouvrières que sont ses filles, l’organe de l’amour, indispensable et sacré, mais un peu inconscient et souvent puéril. Aussi la traitent-elles comme une mère en tutelle. Elles ont pour elle un respect, une tendresse héroïque et sans bornes. À elle est réservé le miel le plus pur, spécialement distillé et presque entièrement assimi-