Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

miel, si économes, si sobres, si prévoyantes d’habitude, obéissaient à une sorte de folie fatale, à une impulsion machinale, à une loi de l’espèce, à un décret de la nature, à cette force qui pour tous les êtres est cachée dans le temps qui s’écoule.

S’agit-il de l’abeille ou de nous-mêmes, nous appelons fatal tout ce que nous ne comprenons pas encore. Mais aujourd’hui, la ruche a livré deux ou trois de ses secrets matériels, et on a constaté que cet exode n’est ni instinctif, ni inévitable. Ce n’est pas une émigration aveugle, mais un sacrifice qui paraît raisonné, de la génération présente à la génération future. Il suffit que l’apiculteur détruise en leurs cellules les jeunes reines encore inertes, et qu’en même temps, si les larves et les nymphes sont nombreuses, il agrandisse les entrepôts et les dortoirs de la nation : sur l’heure, tout le tumulte improductif s’abat comme les gouttes d’or d’une pluie obéissante, le travail habituel se répand sur les fleurs, et, devenue indispensable, n’espérant ou ne redoutant plus de successeur, rassurée sur l’avenir de l’activité qui va naître, la vieille reine renonce à revoir cette année la lumière du soleil. Elle reprend paisiblement, dans les ténèbres, sa tâche maternelle