Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et sont obligées de passer la nuit sur le seuil, où le froid les décime.

Une inquiétude ébranle tout le peuple, et la vieille reine s’agite. Elle sent qu’un destin nouveau se prépare. Elle a fait religieusement son devoir de bonne créatrice, et maintenant, du devoir accompli sortent la tristesse et la tribulation. Une force invincible menace son repos ; il va falloir bientôt quitter la ville où elle règne. Et pourtant cette ville, c’est son œuvre, et c’est elle tout entière. — Elle n’en est pas la reine au sens où nous l’entendrions parmi les hommes. Elle n’y donne point d’ordres, et s’y trouve soumise, comme le dernier de ses sujets, à cette puissance masquée et souverainement sage que nous appellerons, en attendant que nous essayions de découvrir où elle réside, « l’esprit de la ruche ». Mais elle en est la mère et l’unique organe de l’amour. Elle l’a fondée dans l’incertitude et la pauvreté. Sans cesse elle l’a repeuplée de sa substance, et tous ceux qui l’animent, ouvrières, mâles, larves, nymphes, et les jeunes princesses dont la naissance prochaine va précipiter son départ et dont l’une lui succède déjà dans la pensée immortelle de l’Espèce, sont sortis de ses flancs.