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vres, ils nourrissent contre la dureté et l’avarice de leurs maîtres une haine recuite et renfermée, et, s’ils ont à leur tour des valets, ils profitent de l’expérience de la servitude pour surpasser la dureté et l’avarice dont ils ont souffert.

« Je pourrais vous faire le détail des mesquineries, des fourberies, des tyrannies, des injustices, des rancunes qui animent ce travail baigné d’espace et de paix. Ne croyez pas que la vue de ce ciel admirable, de la mer qui étale derrière l’église un autre ciel plus sensible qui coule sur la terre comme un grand miroir de conscience et de sagesse, ne croyez pas que cela les étende ou les élève. Ils ne l’ont jamais regardé. Rien ne remue et ne mène leurs pensées, sinon trois ou quatre craintes circonscrites : crainte de la faim, crainte de la force, de l’opinion et de la loi, et à l’heure de la mort, la terreur de l’enfer. Pour montrer ce qu’ils sont, il faudrait les prendre un à un. Tenez, ce grand à gauche qui a l’air jovial et lance de si belles gerbes. L’été dernier, ses amis lui cassèrent le bras droit dans une rixe d’auberge. J’ai réduit la fracture qui était mauvaise et compliquée. Je l’ai soigné longtemps, je lui ai donné de quoi vivre en attendant qu’il pût se remettre au travail. Il venait chez moi tous les jours. Il en a profité