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partout cette morale si différente de la nôtre. Voyez encore, dans les mêmes petits êtres, son avarice injuste et son faste insensé. De sa naissance à sa mort, l’austère butineuse doit aller au loin, dans les fourrés les plus épais, à la recherche d’une foule de fleurs qui se dissimulent. Elle doit découvrir aux labyrinthes des nectaires, aux allées secrètes des anthères, le miel et le pollen cachés. Pourtant ses yeux, ses organes olfactifs, sont comme des yeux, des organes d’infirme, au prix de ceux des mâles. Ceux-ci seraient à peu près aveugles et privés d’odorat qu’ils n’en pâtiraient guère, qu’ils le sauraient à peine. Ils n’ont rien à faire, aucune proie à poursuivre. On leur apporte leurs aliments tout préparés et leur existence se passe à humer le miel à même les rayons, dans l’obscurité de la ruche. Mais ils sont les agents de l’amour, et les dons les plus énormes et les plus inutiles sont jetés à pleines mains dans l’abîme de l’avenir. Un sur mille, parmi eux, aura à découvrir, une fois dans sa vie, au profond de l’azur, la présence de la vierge royale. Un sur mille devra suivre, un instant dans l’espace, la piste de la femelle qui ne cherche pas à fuir. Il suffit. La puissance partiale a ouvert à l’extrême et jusqu’au délire, ses trésors inouïs.