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désirs arbitraires, l’univers nous eût offert une énigme moins incompréhensible, moins pitoyable que celle que nous tâchons de pénétrer. Mais ce n’est pas dans ce qui aurait pu être, c’est dans ce qui est qu’il convient de puiser notre conscience, et l’intérêt que nous prenons à l’existence.

Autour de la reine virginale, et vivant avec elle dans la foule de la ruche, s’agitent des centaines de mâles exubérants, toujours ivres de miel, dont la seule raison d’être est un acte d’amour. Mais malgré le contact incessant de deux inquiétudes qui partout ailleurs renversent tous les obstacles, jamais l’union ne s’opère dans la ruche, et l’on n’a jamais réussi à rendre féconde une reine captive[1]. Les amants qui l’entourent ignorent ce qu’elle est, tant qu’elle demeure au milieu d’eux. Sans se douter qu’ils viennent de la quitter, qu’ils dormaient avec elle sur les mêmes rayons, qu’ils l’ont peut-être bousculée dans leur sortie impétueuse, ils vont la demander à l’espace, aux creux les plus cachés de l’horizon. On dirait que leurs yeux

  1. Le professeur Mc Lain est récemment parvenu à féconder artificiellement quelques reines, mais à la suite d’une véritable opération chirurgicale, délicate et compliquée. Du reste, la fécondité de ces reines fut restreinte, et éphémère.