Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/199

Cette page a été validée par deux contributeurs.

est moins circonspecte et n’a pas d’éclaireurs, et que la jeune reine, vierge, ardente et légère, vole beaucoup plus loin et dès la première étape entraîne tout son monde à une grande distance de la ruche. Joignez-y que cette deuxième et cette troisième émigration sont bien plus téméraires et que le sort de ces colonies errantes est assez hasardeux. Elles n’ont à leur tête, pour représenter l’avenir, qu’une reine inféconde. Tout leur destin dépend du vol nuptial qui va s’accomplir. Un oiseau qui passe, quelques gouttes de pluie, un vent froid, une erreur, et le désastre est sans remède. Les abeilles le savent si bien que, l’abri trouvé, malgré leur attachement déjà solide à leur demeure d’un jour, malgré les travaux commencés, souvent elles abandonnent tout pour accompagner leur jeune souveraine dans sa recherche de l’amant, pour ne pas la quitter des yeux, pour l’envelopper et la voiler de milliers d’ailes dévouées, ou se perdre avec elle quand l’amour l’égare si loin de la ruche nouvelle, que la route encore inaccoutumée du retour vacille et se disperse dans toutes les mémoires.