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Enfin, pour terminer cette apologie où je tombe un peu dans le travers que je reprochais à sir John Lubbock, ne faut-il pas être intelligent, pour être capable d’aussi grandes folies ? Il en va toujours ainsi dans ce domaine incertain de l’intelligence, qui est l’état le plus précaire et le plus vacillant de la matière. Dans la même clarté que l’intelligence, il y a la passion, dont on ne saurait dire au juste si elle est la fumée ou la mèche de la flamme. Et ici la passion des abeilles est assez noble pour excuser les vacillements de l’intelligence. Ce qui les pousse à cette imprudence, ce n’est pas l’ardeur animale à se gorger de miel. Elles le pourraient faire à loisir dans les celliers de leur demeure. Observez-les, suivez-les dans une circonstance analogue, vous les verrez, sitôt leur jabot plein, retourner à la ruche, y verser leur butin, pour rejoindre et quitter trente fois en une heure les vendanges merveilleuses. C’est donc le même désir qui accomplit tant d’œuvres admirables : le zèle à rapporter le plus de biens qu’elles peuvent à la maison de leurs sœurs et de l’avenir. Quand les folies des hommes ont une cause aussi désintéressée, nous leur donnons souvent un autre nom.