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que court tout animal en poursuivant sa proie.

Garderions-nous mieux qu’elles notre sang-froid si une puissance insolite tentait à chaque pas notre raison ? Il nous est donc bien difficile de juger les abeilles que nous-mêmes rendons folles et dont l’intelligence n’a pas été armée pour percer nos embûches, de même que la nôtre ne semble pas armée pour déjouer celles d’un être supérieur aujourd’hui inconnu mais néanmoins possible. Ne connaissant rien qui nous domine, nous en concluons que nous occupons le sommet de la vie sur notre terre ; mais, après tout, cela n’est pas indiscutable. Je ne demande pas à croire que lorsque nous faisons des choses désordonnées ou misérables, nous tombons dans les pièges d’un génie supérieur, mais il n’est pas invraisemblable que cela paraisse vrai quelque jour. D’autre part, on ne peut raisonnablement soutenir que les abeilles soient dénuées d’intelligence parce qu’elles ne sont pas encore parvenues à nous distinguer du grand singe ou de l’ours, et nous traitent comme elles traiteraient ces hôtes ingénus de la forêt primitive. Il est certain qu’il y a en nous et autour de nous des influences et des puissances aussi dissemblables, que nous ne discernons pas davantage.