Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’étaient noyées, des milliers se poser sur le sucre en ébullition, le sol couvert et les fenêtres obscurcies par les abeilles, les unes se traînant, les autres volant, d’autres enfin si complètement engluées qu’elles ne pouvaient ni ramper ni voler ; pas une sur dix n’était capable de rapporter à la maison le butin mal acquis, et cependant l’air était rempli de légions nouvelles d’arrivantes aussi insensées. »

Ceci n’est pas plus décisif que ne serait pour un observateur surhumain qui voudrait fixer les limites de notre intelligence, la vue des ravages de l’alcoolisme, ou d’un champ de bataille. Moins, peut-être. La situation de l’abeille, si on la compare à la nôtre, est étrange en ce monde. Elle y a été mise pour y vivre dans la nature indifférente et inconsciente, et non pas à côté d’un être extraordinaire qui bouleverse autour d’elle les lois les plus constantes et crée des phénomènes grandioses et incompréhensibles. Dans l’ordre naturel, dans l’existence monotone de la forêt natale, l’affolement décrit par Langstroth ne serait possible que si quelque accident brisait une ruche pleine de miel. Mais alors il n’y aurait là ni fenêtres mortelles, ni sucre bouillant, ni sirop trop épais, par conséquent guère de morts et pas d’autres dangers que ceux