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L’Esté n’ose ternir vostre aimable verdeur,
Et sa flamme pour vous n’a que de la splendeur.

Vieux chesnes, et vous pins dont les pointes chenuës
S’esloignent de la terre et s’approchent des nuës.
Bois où l’astre du jour confondant ses rayons
Fait naistre cent Soleils pour un que nous voyons ;
Beaux lieux dont la tranquille et plaisante demeure
Ne reçoit point d’ennuy qu’aussy tost il n’y meure ;
Vous voir, vous posséder, est un bien le plus doux,
N’est ce pas vivre heureux que de vivre chez vous ?

Après avoir passé dans une grande allée
D’aulnes et d’ypréaux artistement voilée,
Le favorable Dieu qui préside en ces lieux
Fait voir d’un grand canal l’object tout gracieux,
Où le chant des oiseaux et le bruit des fontaines
Font un concert plus doux que celuy de Syreines :
C’est un plaisir de voir la Nymphe de ces eaux
Couvrir sa nudité d’un crespe de rozeaux,
Friser l’azur flottant de ses tresses humides,
Se couronner le front de ses perles liquides,
Ternir de son éclat les Nymphes d’alentour,
Et paroistre une Reyne au milieu de sa Cour.

C’est un plaisir de voir l’ombre de ces feüillages
Emailler ce cristal de leurs vertes images,
Errer au gré du vent, aussy bien que ses flots,
Et tous ces mouvemens nous donner du repos.

Sur quelque verité que la fable se fonde,
Venus ne prit jamais sa naissance de l’onde,
Car voyant un lict d’or sous ce flot de cristal.
J’ose bien asseurer que c’est son lieu natal :
Il semble que ces bords gardent encor ses traces,
Que le teint de ces fleurs soit celuy de ses grâces,
Que ce Dedale sombre et ses confus détours
Servent d’amusement à ces petits Amours,
Et que l’air de ce lieu qui termine leur course
Inspire des douceurs, dont ils furent la source.