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nous dire, craignans que d’ailleurs elle nous fust présentée plus rudement ; et un Jeudi, 24e novembre, sur le soir, M. du Plessis sortant d’avec moy, plein de ceste appréhension pour quelques bruictz venuz à la traverse, luy tranchèrent ce dur mot, lequel l’ayant profondément navré, et scachant bien qu’il ne me pouvoit desguiser son visage, se résolut qu’il falloit mesler noz douleurs ensemble, et d’entrée : « Ma mye, me dit il, c’est aujourd’huy que Dieu nous appelle à l’espreuve de sa foy et de son obéissance ; puisqu’il l’a faict, c’est à nous à nous taire. » Auquel propos, douteuse jà que j’estois et allangourie de longue maladie, j’entray en pasmoison et convulsions, je perdis longtemps la parole, non sans apparence d’y succomber, et la première qui me revint, fut : « La volonté de Dieu soit faicte! Nous l’eussions peu perdre en un duel, et lors quelle consolation en eussions nous peu prendre ? » Le surplus se peut mieux exprimer à toute personne qui a sentiment par un silence. Nous sentismes arracher noz entrailles, retrancher noz espérances, tarir noz desseins et noz désirs. Nous ne trouvions un long temps que dire l’un à l’autre, que penser en nous mesmes, parcequ’îl estoit seul, après Dieu, nostre discours, nostre pensée, noz filles, nonobstant la desfaveur de la court, heureusement mariées et mises, avec beaucoup de pêne, hors de la maison, pour la luy laisser nette ; désormais toutes nos lignes partoient de ce centre et s’y rencontroient. Et nous voyions qu’en luy Dieu nous arrachoit tout, sans doute pour nous arracher ensemble du monde, pour ne tenir plus à rien, à quelque heure qu’il