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manday au batellier à descendre, dont il me refusa ; mais Dieu voulut que vis à vis du village le bateau agrava, ce qui le contraignit de nous faire tous descendre ; l’ayant payé, nous allasmes, le dit Minier et moy, au dit village d’Yury, où estant, il prit résolution de me mener au Bouschet, à une lieue, près de la maison de monsieur le chancelier de l’Hospital, maison appartenante à monsr le Président Tambonneau, et me mit chez son vigneron. Ainsy fismes cinq lieues à pied, et m’ayant lessée chez ce bon pauvre homme, il alla à Vallegrand, chez monsr le Chancelier, pour savoir s’il y avoit moyen que je m’y retirasse, avec madame la chancelière, sa femme ; mais il les trouva tous fort estonnés[1], ayant esté envoyé du Roy soubs ombre de le garder une forte garnison en sa maison, madame la chancelière avoit déjà esté contraincte d’aller à la messe. Monsieur le Chancelier m’envoya offrir par le dit Minier sa maison ; touteffois je n’y pouvois demeurer sans aller à la messe, ce qu’il ne pensoit pas que je voulusse faire, voyant la résolution que j’avois prise de sortir de Paris avec tous ces dangers. Je demeuray chez le dit vigneron quinze jours et le dit Minier s’en retourna à Paris. J’eus ung malheur qu’aussy tost que je feus arrivée

  1. Le chancelier de l’Hospital, retiré à Vignai, près d’Étampes, fut plusieurs fois menacé ; sa famille et ses amis le conjuraient de se cacher ; il refusa : « Ce sera, dit-il, ce qu’il plaira à Dieu, quand mon heure sera venuë ; » on vint lui dire le lendemain qu’on voyait des chevaux sur le chemin, s’il ne voulait pas qu’on leur fermât la porte : « Non, non, dit-il, si la petite porte n’est bastante pour les faire entrer, qu’on leur ouvre la grande. » On lui donnait avis que sa mort n’était pas conjurée, mais pardonnée ; il répondit « qu’il ne pensait avoir mérité ni mort ni pardon. » (Brantôme.)