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AMUSANTES.

ſentimens étoient ſi bien d’accord avec l’élevation dans laquelle je me voyois, que j’en perdis une partie de la tendreſſe qu’un fils doit à ſa mere, quoique la mienne me montrât un grand attachement : mais au milieu de cet amour, nous remarquions en nous un fond de froideur qui ſembloit démentir la nature.

À peine eus-je atteint l’âge de dix-huit-ans, que le Viceroi me fit donner un emploi conſidérable dans l’armée du Roi ſon maître, ſon amitié pour moi lui ayant fermé les yeux ſur ma jeuneſſe, & mon peu d’expérience. Mon bonheur voulut que je me diſtinguaſſe aſſez dans quatre campagnes que je fis, pour mériter ſon eſtime.

Je revins au Mexique après quatre-ans d’abſence, pour voir Roſemonde qui étoit dans un âge avancé, & d’une ſanté tres foible. Je trouvai près d’elle, & fort dans ſa confidence, cette criminelle Négreſſe nommée Fatime : rien n’étoit bien fait dans ſa maiſon, ſi Fatime ne l’avoit ordonné.

Pour moi qui ne bougeois du Palais du Viceroi, & qu’un orgueil dont j’ignorois la cauſe mettoit au-deſſus de certaines attentions, je ne m’embaraſſai point d’une liaiſon ſi extraordinaire. Je remarquois cependant que toutes les fois que j’allois voir Roſernonde, Fatime me faiſoit des amitiez qui paſſoient les bornes de la civilité. Cet attachement me divertît, & j’y répondois auſſi galamment qu’un pareil objet le pouvoit mériter.