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LES JOURNÉES

qu’on la laiſſât en repos. Nous ſimes mettre la Négreſſe dans un appartement ſur & bien gardé, ne voulant pas la livrer entre les mains de la Juſtice, que nous n’eûſſions appris ce que l’Inconnu avoit à nous dire.

Toutes ces choſes faites, Philimene & moi le ſimes paſſer dans mon appartement, & nous le priâmes de nous découvrir la cauſe d’un malheur ſi peu attendu ; ce qu’il fit en ces termes, avec une grâce capable d’attendrir les cœurs les moins ſenſibles.

Je voudrois, Madame, dit-il, en s’adreſſant à Philimene, que vous pûſſiez voir mon cœur à découvert : vous le trouveriez, pénétré d’une ſi vive douleur, qu’elle adouciroit la vôtre : & je crois que vous n’en douterez plus, lorſque vous ſerez inſtruite de mon ſort.

J’ai été élevé, dès l’âge le plus tendre, au Mexique ; ma Mere ſe nommoit Roſemonde, & l’on m’appelle Moſare. Roſemonde ne m’a jamais dit par quelle raiſon elle fût s’établir ſi loin, étant de ce pays-ci. Quoiqu’il en ſoit, elle étoit ſi bien & ſi opulente, que ſa Maiſon paroiſſoit une ſeconde Cour après celle du Viceroi. Elle faiſoit la ſienne régulièrement à la Vicereine, qui ayant beaucoup d’amitié pour moi, engagea le Viceroi ſon époux à me prendre près de lui ; ce qu’il fit avec une généroſité ſans exemple, me donnant une éducation digne d’une naiſſance plus relevée.

Je mis tous mes ſoins à répondre aux bontez qu’il me témoignoit. Mon cœur & mes