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AMUSANTES.

la bienſéance de le preſſer là-deſſus. Le tems qui s’écoula, me donna celui de connoître Philinte plus parfaitement. Étant beaucoup plus libres de nous voir & de nous parler, notre tendreſſe devint à ce degré de perfection qui rend les paſſions éternelles, lorſqu’elles ont un caractère de vertu.

Philinte cependant croyant avoir aſſez donné à la douleur de mon frere, lui parla de notre hymen, & le pria de le conclure. Il y conſentit, & il fut arrêté pour huit jours après.

Nous attendions ce moment avec impatience ; mais comme nous étions deſtinez Dorante & moi à n’être jamais heureux, Philinte reçut un ordre ſuprême de ſe rendre à l’Armée navale, toute prête à mettre à la voile pour une expédition ſecrete. Il n’y eut pas moyen de demander du retardement ; il fallut partir, & s’embarquer. Jugez du deſeſpoir de Philinte, il fût inconcevable.

Pour moi je ne prétens pas ici me peindre en eſprit fort, je fus extrêmement touchée de ce contre-tems ; & le péril que Philinte alloit courir, me rendoit encore ſon départ plus ſenſible. Il n’employa le tems qui lui reſtoit, qu’à me rendre maîtreſſe abſolue de tout ſon bien, ne laiſſant à ſon neveu fils d’Arſeſne que ce qu’il ne pouvoit lui ôter ; & nous nous ſéparâmes avec une douleur ſi outrée, qu’elle ſembloit nous prédire que nous ne nous reverrions jamais.