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LES JOURNÉES

trême douleur d’Arſeſne, en ſe réparant du jeune Orſame : cent fois on le lui arracha des bras, & cent fois elle le reprit. Un torrent de larmes accompagnoit toutes les choſes tendres qu’elle lui diſoit ; & cela fut porté à un tel excès, que Dorante la pria qu’il vint avec nous ; mais la raiſon dominant ſur la tendreſſe, elle ne voulut point y conſentir ; jugeant que le changement de l’air pourroit lui être contraire, ayant pris naiſſance en ce lieu, & n’en étant jamais ſorti : les femmes même qui avoient ſoin de lui, s’y oppoſerent auſſi fortement. Ainſi Arſeſne prenant une forte réſolution, ſe jetta en caroſſe avec précipitation, & fit ſigne qu’on ôtât Orſame de ſa préſence.

Nous la ſuivîmes promtement, & nous partîmes aſſez triſtement pour des perſonnes qui avoient lieu d’être contentes. Arſeſne cependant parut reprendre ſa tranquilité en approchant de la Ville : elle dit mille choſes obligeantes à Dorante & à moi, qu’elle accompagnoit d’une grace charmante ; & je puis vous aſſurer que je me trouvois auſſi heureuſe de m’unir à elle, que mon frere ſe le trouvoit de devenir ſon époux. Nous arrivâmes chez Dorante, & dès le lendemain il ordonna les préparatifs de cette double union.

Enfin la veille de ce grand jour parut ; mais il ne vint que pour nous accabler de la plus vive douleur. Arſeſne fut attaquée d’une violente fiévre, qui la contraignit de ſe mettre au lit. Allarmés, comme vous pouvez juger,