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AMUSANTES.

lées, &prit un ſoin particulier de Dorante mon frere, & je puis aſſurer qu’il en fit un homme digne d’une eſtime générale. Mon pere mourut & Dorante, devenu maître de ſes actions & d’un bien immenſe, ne ſongea qu’à m’en faire partager les douceurs : il me rappella près de lui, & me montrant les tendreſſes d’un pere, je ne m’apperçus pas que je n’en avois plus. Ma félicité eût été parfaite, ſi l’Amour ne fût venu la troubler.

Mon frere avoit un ami nommé Philinte, qui tenoit un emploi des plus beaux dans notre armée navale ; ſa valeur le lui avoit aquis dans un âge où les autres ne font que commencer. Ce Philinte avoit une ſœur qui lui étoit auſſi chere que je l’étois à mon frere : c’étoit une veuve de vingt-ans, elle avoit un fils qui n’en avoit que deux ; & retirée dans une terre où perſonne ne la voyoit que ſon frere, elle ne s’occupoit qu’à faire élever cet enfant qu’elle aimoit avec ardeur. Une ſi triſte vie, de laquelle on avoit voulu la détourner pluſieurs fois, ſans qu’elle y pût conſentir, touchoit Philinte ſenſiblement ; & deſirant faire une dernière tentative, il propoſa à Dorante d’aller voir cette chere ſœur ; eſpérant, diſoit-il, que ma compagnie l’attireroit près de lui. Mon frere y conſentit avec plaiſir, & ma complaiſance pour lui ne m’y fit trouver nulle difficulté.

Juſques-là je ne m’étois point apperçue que Philinte eût pour moi d’autres ſentimens que