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LES JOURNÉES

ne ſervira qu’à me le faire oublier tout-à-fait. Au contraire, reprit Orophane, vous ſongerez à moi, cette penſée amènera le regret, le regret fera naître la ſenſibilité, vous me rappellerez, & je ſerai alors le plus heureux des hommes.

Mais, dit Uranie, vous ſuppoſez donc être regretté ? Mon amour extrême, dit-il, mon reſpect infini, m’aſſurent que Félicie ne trouvant point d’eſclave plus tendre & plus ſoumis, ſera obligée de me rendre juſtice.

En-vérité, dit alors Thélamon, ſi je n’étois perſuadé que vous cherchez à faire briller votre eſprit plutôt qu’à faire connoître vos véritables ſentimens, je vous blâmerois terriblement d’en avoir de cette nature. Un homme parfaitement amoureux peut-il ſonger à s’éloigner de ce qu’il aime, de deſſein prémedité, & doit-il préférer à un bien réel un bonheur imaginaire ? Enfin, c’eſt un eſſai. qu’un amant fidéle ne doit jamais faire, puiſqu’il ſuppoſe peu d’amour, ou trop de préſomption.

En achevant ces mots, ils ſe trouvèrent vis-à-vis de la maiſon ; ils ſe préparoient à y rentrer, lorſqu’Uranie fit appercevoir à la Compagnie, qu’une calèche à ſix chevaux, eſcorrée de deux hommes à cheval, en prenoit le chemin : effectivement cet équipage entra dans la cour. Uranie s’avança pour voir qui c’étoit, & recevoir ce monde ; mais elle fut agréablement ſurpriſe, lorſqu’elle vit Béliſe & Julie deſcendre de la caléche.